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désir de tous les Bordelais, amateurs de belles statues, de voir disparaître au plus tôt cette monstruosité. Il faut que la capitale de la Gironde conserve son aspect de beauté incomparable à cet endroit unique où se profile la superbe façade du Grand-Théâtre, le chef-d’œuvre de Louis. Nous connaissons trop le bon goût de l’administration des Beaux-Arts pour qu’elle ne puisse satisfaire à un vœu presque général et qu’on ne restaure bientôt l’esplanade des Quinconces, en y replantant de grands ormes et en la débarrassant des baraques qui masquent le paysage sur le quai voisin, ainsi que des laides expositions qui s’y installent, au désespoir des artistes, comme l’Exposition canine ou l’Exposition culinaire, qui déshonorent le jardin des Tuileries.

Il y a quarante-quatre ans, devant le théâtre Louis, que gardaient, dans les premières séances de l’Assemblée, les soldats de la garde nationale, abondaient les curieux, venus pourvoir de près les élus de la France. C’est là qu’on allait saluer les amiraux Jauréguiberry, Fourichon, Pothuau, La Roncière, Le Noury, Saisset, de Montaignac, les généraux d’Aurelle de Paladines, Chanzy, Trochu, Loysel, Mazure, Le Flô, Martin des Pallières, le colonel de Chadois, l’un des héros de Coulmiers, les politiques en renom tels que le duc de Broglie, Léon de Maleville, Buffet, Vitet, de Larcy, Dufaure, Jules Grévy, Barlhélemy-Saint-Hilaire, le vicomte de Meaux, Lambrecht, Victor Lefranc, Batbie, de Mérode ; les anciens membres de la Défense nationale, Gambetta, Jules Favre, Jules Simon, Crémieux, Rochefort ; des écrivains connus comme Victor de Laprade, Littré, Beulé, Saint-Marc-Girardin, et enfin et surtout M. Thiers, qui avait été désigné plus que tout autre à l’attention publique, puisqu’il avait été élu par vingt-six départemens. Quelques imbéciles, — hélas ! il y en a toujours, — croyaient lui déplaire en venant lui crier jusque sous le nez : « Vive la République ! » sans se douter que M. Thiers était plus républicain qu’eux-mêmes.

Il y avait, — je l’ai bien remarqué, — dans la foule des badauds, une certaine animosité entretenue par les feuilles radicales de Bordeaux contre la majorité à qui l’on reprochait d’être rurale, comme si les élus des campagnes n’avaient pas autant d’intelligence, de dévouement, d’autorité, de sens pratique et de valeur que les élus des villes. La Garde nationale elle-même ne craignait pas de manifester ses sentimens hostiles à la Droite