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par-dessus tout. A moins que peut-être vos productions à vous-mêmes, vain babil et chansonnettes sans âme, ne vous aient rendus insensibles à l’art véritable. En tout cas, Viennois, voilà votre goût. »

C’est pour l’Angleterre et les Anglais que Beethoven, en ses dernières années, paraît avoir éprouvé la plus vive sympathie. « Il semble, » rapporte un de ses interlocuteurs (1822), « il semble conserver à la nation britannique une immuable faveur. — J’aime, nous a-t-il dit, la « noble simplicité des mœurs anglaises. » Et d’autres éloges ont suivi. Je crois qu’il ne perd pas tout espoir de visiter l’Angleterre avec son neveu. » Ailleurs : « Beethoven a parlé volontiers et longtemps. Il a la plus haute opinion de Londres et de ses habitans : « L’Angleterre occupe un rang très élevé dans la civilisation. A Londres chacun sait quelque chose et le sait bien. Tandis qu’un Viennois, cela sait parler de manger et de boire, cela chantonne et tapote une musique insignifiante, qu’un autre, ou bien lui-même, a fabriquée. »

Il n’est pas jusqu’à la cuisine anglaise, dont Beethoven, qui savait aussi parler de bonne chère, ne se régalât, en imagination : « Le poisson, le poisson, voilà ce que j’aime. Mais dans ce pays -ci, il n’est pas bon. Du poisson fraîchement sorti de la mer, comme on vous l’apporte sur la table à Londres, voilà ce qui ferait mon affaire. » Et tout de suite il reprenait son panégyrique des Anglais, « qui savent apprécier tout ce qui est fort, tout ce qui est bon, tout ce qui est beau. »

Ils firent mieux qu’apprécier Beethoven : ils l’aidèrent, pendant les derniers temps de sa vie, qui furent misérables. En récompense, il se promettait de dédier sa dixième symphonie à la Société philharmonique de Londres. L’illustre compagnie était digne d’un tel hommage. Elle avait fait parvenir une somme de cent livres sterling à Beethoven, mourant dans la pauvreté. « Cela déchirait le cœur, écrit un témoin, de le voir joindre les mains et tout près de fondre en larmes de joie et de reconnaissance. » Jusqu’à la fin, il ne cessa de protester de sa gratitude, chargeant son ami Schindler de ses remerciemens pour toute la nation anglaise et pour la Société philharmonique. « Que Dieu la bénisse, répétait-il. Elle a fait moins sombres mes derniers jours. » Peu de temps après la mort du maître, Schindler écrivait à Moschelès : « La Société philharmonique a l’honneur d’avoir payé de ses deniers la sépulture du grand homme. Sans cela nous n’aurions pu faire les choses aussi convenablement. » Ainsi la terre où Beethoven repose fut achetée en partie avec de l’or anglais. Ainsi, de la naissance, ou plutôt des origines du maître à sa mort, et