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et d’une vingtaine d’autres personnages analogues rencontrés naguère dans tous les recueils de traditions populaires allemandes. Sept-d’un-Coup, n’est-ce pas lui qui ressuscite aujourd’hui sous les espèces de chacun de ses compatriotes d’outre-Rhin, avec ce même mélange, à peine croyable, d’aplomb et d’orgueil, mais surtout avec cette même transition subite d’un excès de timide réserve à l’excès contraire de foi en sa valeur corporelle et morale ? Écoutons l’accent particulier des paroles proférées devant nous, depuis quatre mois, par maints représentans des diverses classes de la société allemande, l’accent du manifeste des « Intellectuels, » des déclarations du professeur Lasson et du professeur Ostwald, des interviews de généraux ou de simples soldats : ce n’est point là un accent naturel et normal, mais bien celui d’autant de Sept-d’un-Coup, — d’hommes qui étaient nés pour respecter et servir, de telle sorte qu’une trop prompte fortune leur a « tourné la tête. » Que l’on se rappelle le professeur Lasson qualifiant son présent empereur de « délices du genre humain, » et le professeur Ostwald affirmant que, par-dessus l’état de « sauvagerie » des Russes et notre état français d’ « individualisme, » l’Allemagne était parvenue désormais à l’état suprême, idéal, d’ « organisation ! » Ou bien voici qu’une revue métaphysique de là-bas, le Siècle Moniste, a demandé aux principaux savans allemands sous quelle forme ils concevaient l’avenir prochain de leur pays : je n’ai pu connaître encore que les deux premières réponses, celles du fameux naturaliste Haeckel et d’un autre penseur appelé Peus-Dessau ; mais tous les deux s’accordent à proclamer que, dès la terminaison de la guerre, l’Allemagne devra nécessairement s’approprier la Belgique et la Hollande, un tiers de la France, nos colonies ainsi que celles des Anglais, et cela parce que, étant d’une essence supérieure à celle du reste des hommes, elle a proprement pour mission de dominer le monde ! Nul moyen de mettre en doute la sincérité de ces étranges propos, tout pareils à ceux que l’on entend flotter dans les salles et couloirs des asiles d’aliénés ; et, malgré leur « mégalomanie » trop évidente, ce ne sont pas, non plus des propos d’aliénés : leur explication authentique nous est donnée dans l’histoire séculaire de l’humble tailleur allemand Sept-d’un-Coup, qui, ayant tué sept mouches, a revêtu soudain les allures et l’assurance intime d’un héros dont l’irrésistible bras aurait tué sept géans.

J’ajouterai que le tailleur Sept-d’un-Coup, dans le comte de Grimm qui porte son nom, se trouve être un « finaud, » et n’a besoin de personne pour lui suggérer de quelle manière il pourra exploiter à