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pour contraindre des prisonniers à servir les intérêts de l’armés ennemie est strictement contraire à la loi internationale. »

Sans compter la manière dont l’apôtre du « pangermanisme » réfutait dès lors les objections hypocrites qu’allait provoquer chez ses compatriotes, trente ans plus tard, l’emploi sur notre « front » de troupes amenées du Sénégal ou des Indes :


Une nation en guerre peut appeler sur son front de combat la totalité de ses troupes, — celles-ci soient-elles civilisées ou barbares. C’est là un point sur lequel il faut que nous gardions tout notre sang-froid, de façon à éviter des préventions fâcheuses. Il y a eu en Allemagne de vrais hurlemens, pendant la guerre franco-prussienne, parce que les Français ont employé des turcos pour combattre l’un des peuples les plus civilisés de l’Europe. Les passions de la guerre ont toujours vite fait de donner naissance à des protestations de ce genre : mais la science est tenue de juger froidement, et de déclarer que, dans l’espèce, la conduite des Français n’avait rien de contraire à la loi internationale. Un État belligérant peut et doit tout ensemble mettre en jeu toutes ses ressources guerrières, c’est-à-dire toutes les troupes dont il dispose, quelle qu’en soit l’espèce. Car, à défaut de cette règle, comment déterminer l’endroit de démarcation précis où le « barbare » succède au « civilisé ? » Toutes les ressources guerrières d’un État peuvent et doivent être utilisées, moyennant seulement qu’elles soient soumises aux formes chevaleresques d’organisation militaire qui se sont constituées par degrés au courant des siècles.


Sur la question même du droit des pays neutres, l’opinion expressément énoncée par Treitschke semble bien désapprouver d’avance la récente conduite de l’Allemagne à l’égard de la Belgique. « Il va sans dire, — écrit le pamphlétaire allemand, — que non seulement chaque État est libre de déclarer la guerre pour son propre compte, mais aussi qu’il est libre de se proclamer neutre dans les guerres des États voisins, — à la condition, toutefois, qu’il ait le moyen de maintenir sa neutralité. » La réserve contenue dans ces derniers mots n’a, en vérité, rien d’inacceptable : Treitschke entend simplement que si, par exemple, un pays neutre ne se trouve pas assez fort pour empêcher une armée française de pénétrer sur son territoire, dorénavant sa neutralité prend fin, et l’armée allemande ne doit plus se faire scrupule de la violer à son tour. Mais il n’en dérive aucunement que l’auteur du discours soit disposé à justifier celle des deux armées belligérantes qui commet la première violation d’un territoire neutre ; et j’ai l’idée que toute sa « prussomanie, » s’il avait vécu de nos jours, n’aurait pas suffi pour étouffer dans son cœur de « gentilhomme slave » un sentiment naturel de révolte devant l’ignominie mesquine