Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/824

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devenu partisan de la guerre et M. Cambon, qui a aussitôt démêlé chez lui cette volonté nouvelle, en a fait part à son gouvernement. Qu’on lise et qu’on médite la dépêche du 22 novembre 1913, dans laquelle il a rendu compte d’une conversation provenant, disait-il, d’une source absolument sûre et qui montrait l’Empereur arrivé au dernier terme de cette conversion. Il est impossible de mieux démêler les premiers symptômes du mal, d’en mieux découvrir les causes et d’en préciser en fin de compte le caractère inquiétant d’un trait plus net et plus ferme.

Le croirait-on ? c’est au roi des Belges que l’Empereur confiait alors ses dispositions guerrières, choix qui a lieu d’étonner aujourd’hui. Le général de Moltke, chef de l’état-major général, présent à l’entretien, ne parlait pas avec moins de franchise et d’abandon que son maître. Celui-ci apparut aux yeux de son interlocuteur « complètement changé ; » il n’était plus « le champion de la paix contre les tendances belliqueuses de certains partis allemands ; » il en était « venu à penser que la guerre avec la France était inévitable, et qu’il faudrait en venir là un jour ou l’autre. » Le général de Moltke renchérissait encore sur les paroles de l’Empereur. « Lui aussi, il déclara la guerre nécessaire et inévitable. » cette fois, dit-il, « il faut en finir. » Le succès d’ailleurs n’était-il pas certain ? « Le roi des Belges protesta que c’était travestir les intentions du gouvernement français que les traduire de la sorte et se laisser abuser sur les sentimens de la nation française par les manifestations de quelques esprits exaltés ou d’intrigans sans conscience. L’Empereur et son chef d’état-major n’en persistèrent pas moins dans leur manière de voir. » Ainsi, dus le mois de novembre 1913, et on pourrait sans doute remonter plus haut, l’idée de la guerre fatale était entrée dans la pensée et dans la volonté de l’Empereur : on comprend mieux, quand on le sait, tout ce qui s’est passé par la suite. Mais l’opinion l’ignorait ; elle n’avait pas lu les dépêches de M. Jules Cambon ; elle en était restée à l’Empereur ami de la paix ; elle avait confiance en lui. On se rappelle qu’au moment des premières complications d’où est sortie la guerre, Guillaume II faisait sa croisière dans les mers du Nord : il revint à Berlin, sans paraître se presser, comme s’il n’y avait pas péril en la demeure, et alors tout le monde se tourna vers lui avec l’espoir qu’il apaiserait les flots irrités par un Quos ego ! souverain. Il fallut quelques jours pour comprendre qu’on s’était trompé, et la déception a été grande. L’Empereur, qui n’avait qu’un mot à dire pour empêcher la guerre, a refusé de le dire. Bien plus 1 au moment où