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cartons du ministère des Affaires étrangères. Rien n’est plus faux que cette allégation ; mais, quand même elle serait vraie, en quoi la responsabilité morale de l’Allemagne dans la violation de la neutralité belge serait-elle supprimée ou même diminuée, puisqu’elle ignorait ces prétendues pièces lorsqu’elle a commis l’acte criminel que lui reproche la conscience du monde civilisé ? Le crime ne consiste pas dans le fait matériel, mais dans l’intention qui en a déterminé l’accomplissement, et l’intention véritable est avouée dans le premier discours du chancelier. La Belgique, dit-il maintenant, avait la première manqué aux traités : nous lui répondrons qu’il ne l’a découvert qu’après coup et que cette découverte n’ayant influencé en rien sa détermination initiale, n’en a pas changé le caractère. Mais est-il vrai que la Belgique ait violé elle-même sa neutralité ? Non, certes, et l’argument est misérable. S’il y a eu des conversations entre un attaché militaire anglais et un officier belge, ce n’a pas été un seul# moment pour nouer une coalition contre l’Allemagne, mais pour se mettre d’accord sur ce qu’il y aurait à faire dans le cas où celle-ci viendrait à violer la neutralité belge. L’hypothèse était-elle invraisemblable ? On ne saurait le soutenir aujourd’hui. Mais on ne le pouvait pas davantage alors. Les principaux écrivains militaires allemands, lorsqu’ils traitaient d’une guerre éventuelle avec la France, ne manquaient pas d’écrire qu’il faudrait tourner à l’Ouest la ligne de nos défenses et, pour cela, passer par la Belgique. Cela était écrit partout, cela était dans l’air : et on voudrait que la Belgique n’en eût éprouvé aucune préoccupation ! On exigerait qu’elle s’en fût remise à la bonne foi de l’Allemagne ! Elle avait non seulement le droit, mais le devoir d’échanger des vues sur ce qu’il y aurait à faire pour la défense de sa neutralité, si elle était violée. Et cela même, la Belgique ne l’a pas fait ; rien n’a été arrêté entre l’Angleterre et elle ; tout s’est borné à quelques conversations entre des militaires qui n’avaient aucune qualité pour conclure. Et c’est sur cette base étroite et branlante que M. de Bethmann-Hollweg dresse l’échafaudage de son sophisme. Dans son honnêteté, sir Edward Grey s’est donné une peine bien inutile en publiant un document déjà ancien dans lequel il protestait qu’aucun gouvernement anglais ne violerait la neutralité belge. Ni l’Angleterre, ni la France, — nous le disons fièrement en ce qui nous concerne, — ne sont capables d’un pareil manquement à la foi jurée. Et la Belgique le savait bien. Si elle n’avait-pas la même confiance envers l’Allemagne, ce n’était pas sans raisons. En dehors même de ses généraux, les