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pris d’ailleurs ? Le geste initial de leur campagne avait été de fouler aux pieds un engagement sacré, de déchirer une convention de neutralité imposée par eux et garantie par eux. Pourquoi auraient-ils hésité à violer leurs autres engagemens ? Une forfaiture en entraîne d’autres. Un crime appelle de nouveaux crimes. La méconnaissance systématique et ordonnée, — comme je le prouverai bientôt, — des lois de l’humanité et de l’honneur, marquera d’une tache ineffaçable l’histoire de la Grande Guerre. Les faits odieux dont elle fut le prétexte sont si nombreux et si horribles qu’il faut souvent à celui qui les relate du courage pour poursuivre sa tâche, et que, pour ménager ses lecteurs, il doit parfois gazer certaines atrocités, ou même les passer sous silence. Et il s’efforce d’oublier, pour garder son calme en feuilletant les documens tragiques, qu’il s’agit là de son pays, de sa terre et de son sang !

Le martyre des civils belges, par les quelques détails qu’on en connaît déjà, a suscité dans le monde une telle indignation qu’on est presque tenté d’oublier les atteintes honteuses portées par l’envahisseur aux droits des combattans. Des combattans isolés surtout. L’Allemand, quand il n’est point serré dans des lignes compactes, a facilement peur de son adversaire : il n’en a jamais le respect. Tremblant devant son ennemi armé, il se venge de lui lorsqu’il est impuissant. Le prisonnier entre ses mains n’est pas un soldat malheureux, c’est une victime qui va supporter sa haine. Aussi la première série de crimes qui apparaît lorsque, ayant lu les travaux de la commission, on cherche à en classer les horreurs, est celle des violences exercées sur les hommes qui se sont rendus. Nulle pitié pour eux le plus souvent ; nul geste qui soit digne d’un vainqueur : mais l’arrogance, la cruauté, le mauvais rire, le mépris facile que les âmes basses ont pour les êtres sans défense ! S’ils sont nombreux, on les dirige vers l’arrière sans trop les molester : malgré tout, leur nombre impose ! On se contente de les nourrir mal ou de ne pas les nourrir du tout, et d’empêcher dans les gares les ambulanciers de leur donner à manger. Mais, s’ils sont isolés ou en petits groupes, il n’est point d’outrages qu’ils ne subissent. On les malmène, on se joue d’eux, on les bafoue : « À Campenhout, dit un témoin, j’ai vu maltraiter deux prisonniers ; on se moquait d’eux, on leur faisait « faire des exercices, » on les contraignait à porter des charges, les frappant au point