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LA BELGIQUE MARTYRE.

souillés d’ordure ; ils voyagèrent vingt-six heures debout, pressés les uns sur les autres, sans recevoir de nourriture. À Cologne, on les jeta dans un Luna Park abandonné, où ceux qui le purent dormirent, — ô ironie ! — sur les marches d’une Roue joyeuse ! On leur donna un peu de pain et d’eau. Reconduits le matin à la gare, on les remit en wagons, et un nouveau voyage les ramena à Bruxelles où ils arrivèrent le 30 août et où, malgré l’opposition de leurs gardiens, les agens de police parvinrent à les nourrir : ils n’avaient pas mangé depuis quatre jours. Ils furent ensuite dirigés devant les troupes jusqu’aux avant-postes belges. Plusieurs en route étaient devenus fous… Un troisième groupe, composé surtout de prêtres, parmi lesquels Mgr  Ladeuze, recteur de l’Université, Mgr  de Becker, recteur du Collège américain, et les jeunes Jésuites de l’importante maison d’études de Louvain, fut convoyé sur la route de Bruxelles. Plusieurs furent fusillés en chemin, entre autres le P. Dupierreux, scholastique de la Compagnie de Jésus : son crime était d’avoir sur lui un agenda où il avait noté quelques dates de la guerre.

Pendant ce temps, les femmes et les enfans furent d’abord gardés à vue devant la gare. De toute la journée du 26 août, point de nourriture. En revanche, on leur donna un spectacle. « Ils assistèrent à l’exécution d’une vingtaine de leurs concitoyens, parmi lesquels plusieurs religieux qui, liés quatre par quatre, furent fusillés à l’extrémité de la place… Un simulacre d’exécution de Mgr  Coenraets, vice-recteur de l’Université, et du Père Schmid, dominicain, eut lieu devant eux ; une salve retentit, et les témoins, convaincus de la réalité du drame, furent contraints à applaudir[1]. »

Relâchés dans la nuit, celles de ces pauvres femmes qui retrouvent leur maison intacte n’ont pas une paix bien longue. À huit heures du matin, on leur donne l’ordre de quitter la ville : celle-ci va être bombardée. C’est alors l’exode en masse, l’exode déchirant par tous les chemins, à travers les villages qui brûlent. Ce ne sont plus des centaines d’hommes, c’est une foule que l’on chasse à coups de crosse, qui, à chaque passage d’officiers ou de soldats, doit lever les bras et s’agenouiller, qui, le jour, vit de légumes arrachés aux champs, qui, la nuit, dort à même la route ! Il en tombe d’épuisés qui meurent sans parler ; des femmes se suicident ; des hommes qui ne vont pas assez vite

  1. 5e rapport de la commission.