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EN EXTREME-ORIENT.

priorité de l’initiative, auraient dû nous garantir un succès qui n’eût été que la juste récompense de tant d’efforts individuels. D’où venait donc que notre influence fût menacée ? Précisément de ce que tous ces nobles efforts n’étaient qu’individuels, qu’on ne sentait pas derrière eux la volonté tendue d’une nation unanime, que l’effet des divisions, qui nous absorbaient en nous déchirant, se traduisait à l’étranger par un désintéressement presque absolu de l’édifice à bâtir sur ces fondations admirables. Le docteur Vincent, Professeur à la Faculté de Médecine de Lyon, qui visitait récemment Shanghaï, écrivait, en mars 1914, que, si nous avions le chauvinisme de l’Allemagne, nous célébrerions des œuvres françaises, près desquelles les œuvres allemandes ne lui semblaient encore que « des tentatives embryonnaires[1]. » Mais l’embryon se développait vite. Et, si nous avions eu, comme eux, une pensée soucieuse de nos intérêts qui dominât et coordonnât nos efforts, tout ce qu’il y a d’intelligence dans la Chine du Nord serait depuis longtemps acquis à notre cause.,

Le spectacle du Japon, où l’ascendant de l’Allemagne avait éclipsé celui de la France, et, plus encore, le spectacle de la Chine, où ce même ascendant tenait en échec toutes les autres nations, nous rendaient presque inexplicable la déclaration de guerre. Je comprends ceux qui en faisaient tomber la responsabilité sur la Russie ou sur l’Angleterre ou, malgré toutes les invraisemblances, sur la France elle-même. Nous ne savions rien de ce qui s’était passé avant le 1er août, et, à dire vrai, nous ne nous en préoccupions pas beaucoup. Ce fut seulement à Colombo, lorsque nous reçûmes les journaux d’Angleterre et de France, et, plus tard, lorsque je lus le Livre Bleu, que je fus bien convaincu qu’il n’y avait eu de la part des Alliés aucun désir de provocation. Jusque-là j’aurais hésité, tant la conduite de l’Allemagne me paraissait contraire à ses propres intérêts. La campagne ignominieuse qu’elle menait contre nous aurait justifié toutes les agressions. Mais qu’avait-elle à gagner dans cet épouvantable conflit, elle dont la paix, fortifiait chaque jour l’hégémonie ? Si ses militaires étaient fatigués de tirer à blanc, ils l’étaient moins sans doute de passer pour invincibles. Encore aujourd’hui, on ne me fera jamais croire que cette guerre ait

  1. Le Paris Médical, 21 mars 1914 : Les Hôpitaux et l’Enseignement de la Médecine à Shanghaï, Dr Vincent.