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ont été abattus ; des cas de folie subite éclatent dans les rangs. Sur la seule route de Tirlemont, ils sont dix mille et plus qui fuient, ce pendant que derrière eux le canon gronde, la ville flambe. À Tirlemont, ils veulent s’arrêter : non ! on va les chasser encore de village en village, jusqu’aux sables du Limbourg !

Dans la ville vidée, le pillage va être plus facile. Tout ce qui reste à prendre sera pris. La grande fête du feu et du vin va enivrer les soldats lancés à la curée. Quand le bataillon de landsturm de Halle entrera le 29 août dans les rues, le sac, qui doit durer cinq jours encore, sera à son point d’apogée. Un homme de ce bataillon, dont le journal de route se trouve annexé aux archives de la commission, verra en pénétrant à Louvain « une image de la dévastation telle qu’il est impossible de s’en faire une idée pire. Des maisons brûlant et s’effondrant bordaient les rues ; quelques rares maisons demeuraient debout… la course se poursuivait sur des débris de verre ; des morceaux de bois flambaient, les fils conducteurs du tramway et ceux du téléphone traînaient et obstruaient les voies… le bataillon allait en rangs serrés pour entrer par effraction dans les premières maisons, pour voler (pardon, réquisitionner !) du vin et autres choses. Ressemblant à une meute en débandade, tous y allèrent à leur fantaisie ; les officiers précédaient et donnaient l’exemple !… » Ainsi devait continuer et s’arrêter enfin dans la crapule consciente et le dégoût, la destruction de l’antique cité savante : quatorze cent quatre-vingt-quatorze maisons étaient brûlées ! Ainsi devait se terminer ces jours inoubliables du triomphe grossier de la culture allemande sur la Science et sur la Beauté !

Le crime de Louvain n’est pas seulement un crime contre la Vie : c’est un crime contre l’Esprit. Il dépasse dans sa double horreur tous les autres crimes. Un peuple qui l’a voulu est à jamais déshonoré, le chef qui l’a exécuté, — il s’appelle Manteuffel, — doit être cloué au pilori de l’Histoire. Il en est de même de von Schoenmann, exécuteur d’Andenne, — nous verrons qu’il n’en est pas l’unique héros, — de Bayer, froid bourreau de Dinant, et de Sommerfeld, qui, assis sur une chaise au milieu de la grand’place de Termonde, devait répondre au bourgmestre suppliant, qui lui demandait de préserver ce qui restait de sa ville blessée : Nein ! Razieren ! et faisait signe aux « pionniers » de commencer… Je voulais raconter Termonde. Ne suffit-il pas de citer ce mot, ce geste, — et d’ajouter qu’ils furent obéis !