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l’on fusille un non-combattant (et encore faut-il s’entendre sur ce terme), qui se bat : les dures lois de la guerre le tolèrent. Mais le geste d’un homme ne peut excuser des représailles collectives, et d’ailleurs le civil hat geschossen qui déchaîne les brutes est invariablement la contre-vérité la plus odieuse. On a vu comment toutes les armes à feu avaient été enlevées aux habitans par les autorités belges ; on verra, en lisant les accablans rapports de la Commission, que chaque fois qu’il s’est trouvé un habitant assez courageux pour réclamer, et un oberlieutenant assez honnête pour ordonner, avant le massacre, l’autopsie du cheval tombé qui demandait vengeance, on a trouvé dans le corps du cheval une cartouche de Mauser allemand… Mais, la plupart du temps, il n’y a pas de cheval tombé. Le cri précurseur du drame ne répond à rien qu’à l’instinct collectif qui s’excite et demande sa proie, — plus souvent au geste du chef qui trouve que le temps presse, et qu’il faut en finir !

Quand la localité est grande, et que l’on sait que le carnage, peut-être plus retentissant, sera jugé, il faut sauver l’apparence. À Louvain, deux soldats allemands frappent chez M. X…, professeur à l’Université, disant : « Il y a des soldats cachés chez vous. — Vous vous trompez, visitez la maison si vous voulez ! » Aussitôt ils montent au second étage, ouvrent une fenêtre, déchargent leur revolver dans la rue. À l’appel, des kamarades arrivent de partout, entrent et pillent. « Toutes les fusillades, ajoute le professeur, commencèrent, au même moment, de tous les côtés de la ville. » Le plus souvent, l’organisation n’est pas si parfaite. Un Allemand se contente de tirer en l’air ou sur un passant inoffensif : l’alarme est ainsi donnée. Ailleurs, on cherche ingénieusement des mobiles plus variés. Un témoin de Liége en cite quelques-uns : « Il suffit qu’un pneu éclate pour que tous les fusils soient braqués prêts à tirer dans tous les sens. Ou bien on trouve une vieille cartouche, ou un coupe-papier trop aiguisé. » Ou bien encore, comme à Sittaard, on saisit comme pièces à conviction, avant de sévir, les arcs et les flèches, — les flèches empoisonnées, dira l’autorité prussienne, — qui garnissent le paisible cabaret du Roi d’une société de tir à la perche ! Ailleurs encore, ce sont les dépôts d’armes eux-mêmes faits dans les maisons communales par les particuliers, sur l’ordre des bourgmestres, qui servent de prétexte affiché. Quatre ou cinq vieux fusils de chasse, précieuses reliques de