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EN EXTREME-ORIENT.

été anéanti et que les Allemands avaient franchi la Meuse entre Liège et Namur. Les dépêches de source anglaise affirmaient que les forts de Liège tenaient toujours. La seule nouvelle sûre était la mort du Pape. On en parlait comme d’un événement qui concordait avec la rupture de tout notre passé d’hier. Ceux qui l’avaient approché se hâtaient d’en évoquer l’image avant qu’elle fût recouverte. Je ne l’avais vu qu’une fois, cet Ignis Ardens, un radieux matin de septembre, dans une audience publique, où, parmi la foule des pèlerins, les religieuses des orphelinats de Rome lui avaient amené leurs premières communiantes de sept ans. Toutes en blanc et des fleurs sur la tête, elles étaient sorties de Saint-Pierre, et par la porte de bronze et les larges escaliers de marbre du Vatican, qui sont très doux à gravir, elles étaient montées vers le Père. On les avait rangées dans un grand salon magnifique. Quand il y entra et qu’il vit ces voiles, ces couronnes, ces petits visages aux yeux d’innocence, il tendit les mains et se mit à rire de joie. Ainsi l’homme d’Assise devait rire aux oiseaux du ciel et aux fleurs de la prairie. Il n’avait point de majesté ; mais tout donnait en lui l’idée de la sainteté. Nous apprîmes qu’à l’Ambassadeur d’Autriche qui lui demandait de bénir les armes autrichiennes, le vieillard, incliné vers la tombe, avait seulement répondu : « Je bénis la Paix. » Il était le seul souverain qui pût, dans ces jours sombres, prononcer le mot de Paix sans que personne s’indignât ou haussât les épaules.

L’Observatoire de Zi-ka-wei nous annonçait aussi qu’un typhon, parti du nord des Philippines, se dirigeait vers Hong-Kong et que nous avions bien des chances de le rencontrer. Mais les prévisions des hommes sont toujours incertaines, qu’il s’agisse de l’Océan ou des champs de bataille. Sauf quelques coups de roulis, notre traversée fut très calme. Le 23 au soir, la veille de notre arrivée à Hong-Kong, on nous communiqua un étrange message de Formose. « Les Allemands étaient entrés à Bruxelles. Les Français avaient pris Metz et Strasbourg. Les régimens hindous de Hong-Kong s’étaient révoltés, et le gouverneur de la ville avait été dangereusement blessé. » La prise de Metz et Strasbourg nous parut invraisemblable ; mais l’entrée des Allemands à Bruxelles était possible. Quant à la révolte des Hindous, elle ne surprenait pas les gens qui connaissaient Shanghaï, car les cipayes, préposés à la police de la ville, s’y mutinent assez souvent contre leurs officiers.