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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

méditerranéen, Frédéric II se tourna « vers les grandioses mais malheureuses aventures » d’outre-monts et d’outre-mer et négligea la vraie besogne allemande. Une seule besogne pouvait, en assurant de nouveaux bénéfices à ses peuplades, lui assurer, à lui, leur dévouement ; c’était la conquête de nouveaux territoires à l’expansion germanique, la « prosaïque et vulgaire, mais vaillante et laborieuse colonisation » des Marches germaniques sur tout le pourtour de l’Empire continental. L’annexion et le dressage des peuples voisins à la Kultur allemande, leur asservissement à la race allemande, l’extension quotidienne du germanisme, de son « domaine politique et de ses possessions nationales, » bref « l’acharné travail civilisateur » aux dépens des humanités voisines que « leur situation gouvernementale tourne vers l’anarchie ; » telle est, au gré de M. de Bülow, la besogne vitale de tout Empire allemand, parce que la guerre à répétition, la guerre perpétuelle peut, seule, permettre à l’unité allemande de vivre et de durer.

Pour avoir négligé cette œuvre de conquête continentale, les Hohenstaufen succombèrent, et leur Empire avec eux. Les Habsbourg la reprirent ; mais, durant les quatre ou cinq siècles qu’ils détinrent presque continûment les titres et les ornemens impériaux, leur égoïste maison d’Autriche ne pensa qu’à ses intérêts, agrandissemens et bénéfices, non pas aux profits et prestige de la race allemande. Ils ajoutèrent sans cesse de nouvelles couronnes et de nouveaux domaines à leurs couronnes et domaines autrichiens ; mais ils ne firent pas entrer leurs nouveaux peuples sous la culture et l’exploitation germaniques. Ils devinrent possesseurs de fiefs et de royaumes étrangers ; mais ils négligèrent de les transformer en terres allemandes. Et c’est pourquoi, margraves d’Autriche et de Moravie, ducs de Styrie, de Carinthie, de Bukowine, de Salzbourg et de Frioul, comtes de Tyrol et de Trieste, rois de Bohême, de Hongrie, de Croatie, de Dalmatie, de Slavonie, de Galicie et de Lodomirie, maïtres à leur heure de l’Italie et de l’Espagne, prétendans à la domination universelle et sur le point d’y parvenir, les Habsbourg ne furent jamais en Allemagne empereurs que de nom.

Ils constituèrent et accrurent leur Autriche en marge du germanisme. Le germanisme les méprisa et les eut en haine. Après quatre ou cinq siècles de mauvais ménage, le Habsbourg et la Germanie divorcèrent, et l’Allemagne s’offrit au Hohenzol-