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qui rêve d’une royauté efficace sur sa peuplade suève et d’un commandement stable sur toute la forêt germanique : imperium certum vimque regiam, durant cinq siècles, c’est le rêve de tous les Germains disciplinés à la romaine. Armin le Chérusque, Marbod le Marcoman, Civilis le Batave, Décébal le Dace, tous veulent aller chercher en terres romaines la force et le crédit de ranger sous leur commandement l’anarchie germanique. Mais à l’orée de la forêt, au long du « Seuil romain, » veillent les légions et, durant quatre siècles, ni l’offensive marcomane, ni l’offensive batave ou dace ne peut, en livrant à l’une de ces peuplades une porte de conquête, donner à l’un de ces chefs le dévouement discipliné de toute la race ; c’est « à peine si la défensive victorieuse des Chérusques confère à Armin sur sa peuplade un pouvoir que l’invidia des siens a tôt fait de ruiner.

Après quatre ou cinq siècles, le Seuil romain tombe (406 ap. J.-C.) comme de lui-même, moins sous l’offensive dispersée des Germains que sous son propre poids : la forêt déverse par toutes ses cornes les Invasions qui submergent l’empire des Romains. Quelle floraison alors de royautés et de commandemens germaniques ! quel afflux de dévouemens et de fidélités autour des Alaric, des Clovis et des Théodoric ! Mais la plupart de ces envahisseurs s’enfoncent au loin dans les terres de Rome ; ils perdent tout contact avec la forêt ancestrale ; ils perdent même la langue et les mœurs des aïeux ; ils ne rêvent plus de royauté ni d’empire germaniques : c’est à la restauration d’un ordre latin dans leurs nouveaux royaumes que leurs dynasties se consacrent.

Une seule des peuplades qui ont franchi le Rhin, — les Francs, — demeure au voisinage de ce fleuve : sans pénétrer au delà de la Seine et du Rhône, elle fixe sa vie nouvelle dans ces villas du Nord de la Gaule, dont les champs et les vignes avaient été conquis par la bêche et la charrue gallo-romaines sur les bois de l’Oise, de la Seine et de la Meuse. Les Francs entrent dans les mœurs et la religion de Rome ; mais ils gardent leur langue, leurs traditions et leurs ambitions germaniques. Durant quatre siècles (406-800), ils travaillent sous leurs dynasties mérovingienne et carolingienne à élargir toujours leur domaine gallo-romain, jusqu’aux Pyrénées et jusqu’aux Alpes, jusqu’à l’Èbre et jusqu’au Tibre ; mais ils ont aussi