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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

saxons sans leur quadruple et quintuple marche de Misnie, de Lusace, de l’Allmark, des Billungs et de Nordalbingie ? Avant les Saxons, quand s’éteignit la lignée légitime de Charlemagne, c’est un margrave de Carinthie, Arnulf, puis un margrave de Thuringe, Conrad, qui furent appelés à l’Empire.

Ainsi toutes les dynasties impériales sont montées du margraviat à l’Empire ; mais c’est faute d’une Marche que, malgré la grandeur, la prospérité et l’heureuse situation de sa monarchie bavaroise, jamais la plus authentiquement noble des maisons germaniques, — les Wittelsbach, — ne put se maintenir à ce pouvoir suprême, tant de fois convoité et plusieurs fois obtenu par elle. Car la Bavière, comme la Saxe sur l’Elbe, avait eu jadis sur le Danube sa Marche de l’Est : le margrave de Vienne dépendait alors du duc bavarois. Mais, s’affranchissant du duché et devenant le domaine du Habsbourg, on peut dire que cette Ostmark coupa désormais à la Bavière le chemin du pouvoir. Et la Saxe, après les Ottons eut les mêmes échecs que la Bavière, pour avoir aussi perdu sa Marche de l’Elbe, qui devint le domaine du Hohenzollern : privée de son margraviat, la Saxe ne put jamais reprendre la gloire et le fardeau de l’Empire que, durant un siècle, ses Ottons avaient si noblement portés.

Autour de cette cathédrale gothique, qu’est la majesté impériale, le margraviat et le royaume forain, les domaines mi-étrangers et mi-germaniques sont donc les contreforts indispensables : coupez-les, et la majesté s’écroule, comme les voûtes de nos cathédrales s’écroulaient dès que les fureurs civiles en abattaient les arcs-boutans. « Sans la monarchie prussienne, dit M. de Bülow, il n’y aurait pas d’Empire allemand ; avec elle, dans l’avenir, l’Empire restera debout et tombera. » Puisse cet avis ne pas être oublié de nos diplomates quand ils auront à traiter de la paix : si l’Europe veut ne plus rien avoir à craindre de l’Allemagne, il suffit, mais il faut que la Prusse disparaisse.

Et voici un troisième caractère de cet État fondé par la force, et par la force étrangère, de cet Empire margravial : « La rancune contre l’État, dit M. de Bülow, est coutumière en Allemagne ; elle est presque inconnue en Angleterre ; une des principales raisons pour lesquelles l’Anglais est si bon citoyen, c’est qu’il peut être dans l’État un aussi libre particulier. » Il n’y a