Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/812

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
808
REVUE DES DEUX MONDES.

aspire à être battue, car son « tempérament inné » l’incline vers la soumission à l’être viril ; elle a le sens, l’amour de la discipline. Mais son esprit et son cœur ont de longs jours de rêverie où, regardant par-dessus les Alpes et le Rhin, elle envie, — c’est le grand défaut germanique : propter invidiam, disent Tacite et M. de Bülow, — elle envie le sort d’autres ménages. Là-bas, les nations-épouses subissent, sans doute, la loi de l’homme, mais lui imposent aussi la leur. Elles laissent au maître les relations avec le dehors ; mais elles règnent à leur foyer, sur leurs enfans, sur leur maison, sur la vie domestique ; elles discutent et ordonnent les dépenses, déconseillent les entreprises et les amitiés dangereuses, empêchent les coups de bourse et les coups de tête, calment les désirs de bataille ou de vaine gloire, orientent les efforts de la communauté vers la paix et le bonheur, — la paix, que l’être viril et ses contrastes brutaux mettent trop souvent en risque ou en oubli.

« C’est à l’Ouest et au Sud de l’Allemagne, dit M. de Bülow, qu’a été formé l’esprit allemand ; c’est en Prusse qu’a été formé l’État allemand. » C’est toujours, en effet, du Sud et de l’Ouest, par-dessus les Alpes et le Rhin, que depuis deux mille ans sont venues les idées, les préférences et les modes qui, acclimatées en terres germaniques, adaptées au tempérament héréditaire, ont conquis le cœur de l’éternelle Allemagne et, de siècle en siècle, façonné le génie allemand. C’est de Rome et de Gaule autrefois, d’Italie, de France, des Flandres, de Hollande et d’Angleterre ensuite, que passèrent en terres germaniques les croyances, les sciences, les arts et les lois.

Ratisbonne, Augsbourg et Nüremberg jadis, Munich aujourd’hui : grandes portes de cette influence du Midi qui fit de l’Allemagne du Sud une province romaine d’abord, une sujette de Rome, puis une élève des universités, des ateliers et des musées italiens, une cliente de Milan, de Florence et de Venise… Cologne et Mayence autrefois, Francfort et Strasbourg ensuite : grands ponts ou gués de l’influence occidentale. Ils amenèrent d’abord le christianisme, la morale de sa foi, la discipline de son Église, l’architecture de ses cathédrales et l’agriculture de ses abbayes ; ils importèrent ensuite les arts de la parole et de l’écriture, la poésie du Moyen Age et la littérature des derniers siècles, le latin de Charlemagne et le français de Louis XIV, les gestes, chansons et contes des xiiie, xive et