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ment des peuples allemands que l’on admet ; l’autre demeure exclue, sous le sceptre du Habsbourg dissident. Mais on fait une chaîne de peuples protestataires que l’on y adjoint de force et que l’on rive au trône du maître. Le résultat final n’est pas l’un de ces bons ménages parlementaires, où la Nation et l’État, l’Assemblée et le Monarque, jouissant de droits inégaux et de pouvoirs tout différens, se partagent néanmoins la direction et la responsabilité des affaires publiques. Ce n’est toujours que ménage de soudard, où l’être viril pense mériter son nom par la brutalité de ses contrastes et par la raideur de ses commandemens. C’est même l’un de ces ménages à trois, à dix, à trente, où la nation doit se donner tour à tour à plusieurs maîtres, subir la loi d’un empereur et de vingt-six rois, princes et souverains.

M. de Bülow est plein d’admiration pour cette œuvre de Bismarck : « La création bismarckienne de l’Empire a été magistrale, parce qu’elle créa un ensemble solide, sans détruire l’originalité et l’indépendance des différens États et parce que, tout en conservant les différentes monarchies dans le Nouvel Empire, elle fit de la Prusse l’État directeur, non seulement de nom, mais aussi de fait… Le Prussien Bismarck savait qu’en Allemagne on ne fonde et on ne conserve une forte vie gouvernementale que sous la forme monarchique et que l’Empire allemand, situé au centre de l’Europe, insuffisamment protégé par la nature de ses vastes frontières, doit être et rester un État militaire. » Je doute que les historiens du xxve siècle ratifient ces éloges de M. de Bülow.

Quand Bismarck, le génial ouvrier du Nouvel Empire, se mit à l’établi et commença de modeler le vase qui devait contenir enfin tous les espoirs, tous les désirs de la glorieuse, vertueuse, savante et philosophique Allemagne, ce fut comme en la fable du vieux potier romain : la Fortune lui prêtait sa roue ; les peuples, perchés sur lui, se demandaient quelle amphore noble et pure allait monter et sortir de ses mains ; la roue s’arrêta ; les mains s’ouvrirent : ce n’était toujours que la cruche germanique, l’éternelle « marmite » allemande, le vase de haine et d’explosifs à jeter sur la tête des voisins.

Tous les modeleurs d’Empire eurent, en terres germaniques, la destinée de Bismarck. De tous, l’Allemagne et le monde attendaient quelque belle amphore gréco-romaine, qu’eux-