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du parc séculaire dont elle est entourée. Des valets poudrés remplissaient l’antichambre du rez-de-chaussée ; à travers les salons vides, ils nous ont conduits dans le jardin, auprès de lady Holland et de ses invités.

C’est une grosse maman d’une cinquantaine d’années, d’un abord si digne et si calme qu’il nous a paru glacial. Une vieille dame en deuil, les filles de la duchesse de Bedford, raides comme des bâtons, composaient un cercle hermétique, bien différent de celui de la Reine, et dont le silence la déconcertait. Le lord chancelier Brougham a seul fait mine de s’approcher d’un pas pour causer avec elle. C’est un grand et gros homme, laid, vieux, d’une physionomie assez avenante, auquel il manque beaucoup de dents. Je restais gelée sur ma chaise, quand la dernière des misses Bedford, une enfant de sept ans, a rompu enfin la glace en chantant pour la Reine une petite chanson française.

Lady Holland m’a questionnée alors sur notre voyage et forcée par-là à mentir, en racontant la fable convenue du départ de Malte, de notre traversée imaginaire, etc. La Reine, pendant ce temps, s’était écartée du cercle pour entrer chez lord Holland. A peine revenue, elle a pris congé.

Force cartes nous attendaient à notre logis, celles de lady Sandwich, de lady Sandon, de lady Stuart, de la comtesse Belfast, fille de la comtesse Glengall. Lord Mahon avait écrit sur la sienne : « Sera trop heureux de faire connaître à la Reine sa belle et vieille Angleterre, avant que la réforme n’y ait tout gâté. » Comme il est petit-fils de Pitt, il sera amusant de le voir se rencontrer chez nous avec M. Fox.

Lady Tankarville est venue sur le tard. Elle est fille du duc de Grammont ; quoique née en France, elle a passé toute sa jeunesse en Angleterre, son père ayant suivi les Bourbons à Hartwell et n’étant rentré d’émigration qu’avec eux en 1844. Son frère, le duc de Guiche, se dévoue aujourd’hui au Duc d’Angoulême, tombé, dit-on, dans l’imbécillité. Elle-même reprend auprès de la Duchesse d’Angoulême, à Holy-Rood, les relations d’autrefois à Hartwell. Elle vante la piété, le courage avec lesquels cette princesse supporte ses nouveaux malheurs, mais ne peut nier que l’amertume des caractères et l’inégalité des humeurs n’attristent encore le petit cercle d’amis fidèles dont s’entourent les Bourbons déchus.