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Londres, mercredi, 18 mai.

Notre journée de courses et de visites a commencé par une dérobade à lady Glengall : un billet d’elle nous invitait à venir la prendre et mettait de la partie le comte Léon. La Reine, qui se souciait peu de cette promenade en famille, m’a fait écrire pour décliner l’offre. J’ai mis en avant le prétexte de la santé du Prince, ce qui ne nous a pas empêchés de sortir aussitôt avec lui pour aller à Regent’s park et à la grande ménagerie.

Nous flânions devant la cage des singes, quand lord Elphinstone nous a rejoints. C’est un bel et grand officier ; étant enfant, il a joué à Paris avec nos princes ; il rossait Louis et craignait Napoléon. Nous n’avons fait qu’un tour avec lui, pour revenir au logis en traversant au retour des quartiers si neufs et si beaux que j’en étais jalouse pour Paris.

Lady Stuart nous attendait au logis. C’est la femme du lieutenant général sir John Stuart ; ayant habité quinze ans l’Italie, elle y a pris la douceur des manières latines ; elle portait le deuil du roi d’Espagne. Lord Mahon est aussi venu. Tout Wellington qu’il est, c’est un aimable jeune homme, à la physionomie expressive ; sa parole facile, en dépit d’un léger défaut de prononciation, s’est exercée contre lord Dudley, qui arrivait à point pour donner la réplique et soutenir la thèse opposée. Lord Mahon avoue que son parti sort vaincu de l’épreuve électorale et que le nouveau parlement sera favorable au bill. Il n’en luttera pas moins « jusqu’à la dernière goutte de son encre, en attendant peut-être qu’il ait à combattre jusqu’à la dernière goutte de son sang. » « Rien n’égale, dit-il, la brutalité dont le peuple a fait preuve pendant les dernières élections. Mon candidat, roué de coups, est mort de ses blessures ; un autre, grièvement blessé, restera éclopé pour le reste de ses jours. La maison de lord Wellington a été bombardée à coups de pierres. Comme quelqu’un essayait d’arrêter ce scandale, en disant que lady Wellington venait d’expirer et que son cercueil était encore là, quelqu’un de la foule a répondu : « Plût à Dieu que celui du lord fût à côté ! »

Tel était le diapason de haine auquel s’élèvent les gens de la rue et les personnes de la société ne sont pas moins féroces, ni les femmes du monde moins déraisonnables. Je compte