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Lady Montague parmi les plus passionnées que nous ayons été voir dans l’après-midi : « La Terreur règne à Londres… L’aristocratie est ruinée : le peuple s’empare de ses biens… Elle est déconsidérée : le Roi donne le titre de comte à l’un de ses bâtards. » A propos de ce nouveau venu, inscrit le dernier sur la liste des comtes, la comtesse Shrewsbury s’est écriée : « Combien je plains les vicomtes et les barons ! Mais que serions-nous devenus, nous autres, si le Roi l’avait fait duc ? »

Lady Seymour, au fils de qui la Reine a eu de si grandes obligations quand il s’est agi pour nous de quitter Florence, n’était pas chez elle au moment où nous y sommes allées, ni non plus lady Sandwich, dont la fille Caroline faisait les honneurs. Elle est très belle personne, très spirituelle, à l’extravagance politique près. Mme de Lieven, femme de l’ambassadeur de Russie, s’est autorisée des folies débitées par les uns et les autres dans ce salon ultra pour dire à son tour que si l’Angleterre vote le bill ministériel, elle se raye par-là de la liste des nations. Un parallèle avec la France, qui, suivant elle, se couvre de gloire par sa modération, n’a pas été du goût de la Heine : « Un peuple à conduire, a-t-elle dit, c’est un taureau qu’on veut dompter. Il vaut mieux essayer de le prendre par les cornes, comme George IV le fait, que de le tirer par la queue, à la manière de Louis-Philippe. »

Ayant manqué lady Tankarville, et l’heure s’avançant, nous sommes revenus prendre le Prince pour la visite à faire aux Murat. Ils allaient à un bal appelé Almark, qui tire son nom d’un roman célèbre. Cinq dames patronnesses en gardent jalousement l’entrée. Mme de Lieven est l’une d’elles. Plus réservée cette fois qu’elle ne nous a paru l’être tantôt, dans ses discours, elle avait craint de compromettre sa cour en signant le billet d’admission des Murat, qui avaient dû frapper à une autre porte pour se faire ouvrir.

La mère et le fils ont été enchantés de la figure de la princesse Murat. Quant à moi, ce qui m’a plu infiniment c’est cet Alpha Cottage qu’elle habite hors la ville, avec un joli jardin, un piano, une bibliothèque, tout ce qu’il faut pour vivre avec soi-même, tout ce dont je rêve pour mes vieux jours. Nous y avons trouvé le comte Acetto, réfugié espagnol, et M. Joseph Orsi, de Florence, que le Prince a eu plaisir à revoir pour parler du regretté Napoléon et faire chorus sur la trahison d’Armandi.