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près qui, chez lui, tirent sur le blond. Il est bien élevé, instruit, et curieux d’apprendre. Il se renseigne de son mieux, et par tous les moyens, sur l’histoire de son père et en sait beaucoup plus long que son gouverneur n’a l’ordre de lui en dire. L’empereur d’Autriche, qui l’aime beaucoup, s’en amuse. Il a dit qu’il ne ferait pas pour le fils de Napoléon la guerre à la France, mais qu’à la majorité du Prince, il ne s’opposerait pas au vœu que les Français pourraient exprimer.

La Reine reste incrédule à cette bonhomie patriarcale. Elle est convaincue que l’Autriche ne voit dans Napoléon II qu’un brandon de discorde entre les Français : c’est en ce sens, c’est comme instrument de haine politique et d’opposition à la nouvelle monarchie qu’elle le tient en réserve et fait mine par instant de vouloir s’en servir. Le système de M. de Metternich est toujours de défendre l’Europe contre les idées françaises, ses grandes ennemies. Il s’y tient avec ténacité, mais n’a pas d’illusion sur l’issue finale de la lutte. Il a dit en effet à la reine Caroline, qui les a répétées, ces paroles remarquables : « Nous sommes engagés dans une lutte dont dépend le sort du monde. Tôt ou tard, notre parti succombera ; mais je crois que nous avons assez de forces pour que ce ne soit ni de mon vivant, ni de celui de l’Empereur. »


Mercredi, 1er juin.

Voilà huit jours que la duchesse de Frioul, écrivant de Paris, a promis sa visite prochaine et que la Reine l’attend avec impatience. De toutes ses compagnes d’autrefois chez Mme Campan, c’est celle dont elle fait le plus de cas, comme c’était Mme de Broc qu’elle chérissait le plus. Celle-ci, sœur de la maréchale Ney, s’est noyée en 1813, à la cascade de Grésy, dans une partie de campagne que la Reine faisait avec ses compagnes aux environs d’Aix-les-Bains. A quelques jours de là, Duroc était tué à Bautzen par un boulet dont la poussière éclaboussait l’Empereur et qui emportait aussi le général Kirgener de Planta. Il laissait à sa veuve une petite fille nommée Hortense, dont la Reine était marraine, et qu’elle venait justement de faire baptiser dans sa chapelle en même temps que son autre filleule, Claire de Bassano.

L’Empereur fit aussitôt passer sur la tête de cette jeune