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suivant les prescriptions de la morale chrétienne, l’œuvre législative de protection sociale commencée par son grand-père, ainsi qu’il l’annonça à l’ouverture du Reichstag en 1888. Deux ans plus tard, une conférence internationale était convoquée par ses ordres à Berlin pour étudier la législation du travail. Cependant il apportait sur le trône une haine juvénile des socialistes et des libres penseurs, qui n’a fait que s’enraciner plus profondément en lui à mesure qu’il avançait en âge et que les progrès de la sociale démocratie devenaient plus menaçans à chaque élection au Reichstag. La crainte du socialisme et la lutte contre ce Protée insaisissable ont été ses principales préoccupations. Il dénonçait l’ennemi en termes véhémens dans un discours à Kœnigsberg, en 1894 : « Debout ! au combat pour la religion, la morale et l’ordre contre les partis de la subversion ! » En 1907, il est même descendu dans la lice, à telles enseignes qu’il a reçu du haut du balcon du palais de Berlin les félicitations de ses sujets bien pensans, après le verdict électoral qui avait momentanément éclairci les rangs des élus de la sociale démocratie. Souverain d’un grand empire habité par des millions de socialistes, n’eût-il pas mieux fait de rester étranger aux haines de classes et de partis et de planer avec confiance au-dessus d’elles ?

Guillaume II, sans être imbu de toutes les idées réactionnaires des conservateurs prussiens, n’a rien d’un esprit libéral. C’est un monarque de droit divin, qui se croit investi, comme ses prédécesseurs, de la mission de gouverner ses États et de faire le bonheur de ses sujets, fût-ce malgré eux, d’après les principes de la religion et suivant la tradition monarchique ; un champion résolu des privilèges imprescriptibles de la royauté, limités seulement par les barrières constitutionnelles modernes.

Ce serait dépasser le cadre de cette étude que de pousser plus avant l’analyse détaillée d’un caractère aussi compliqué ; il a déjà fourni matière à plus d’un portrait et mettra à une dure épreuve, par sa complexité même, le talent de ses biographes à venir. J’essaierai seulement, à la fin de ce chapitre, de grouper les traits les plus frappans de la physionomie impériale et de fixer l’imago qu’une guerre odieuse doit nous en laisser. Au surplus, dans l’homme qui régit les destinées de l’Allemagne, c’est surtout le politique qui nous