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aujourd’hui, mais aussi pour demain. Ce sont ces aspirations, ces battemens que nous voudrions noter dans les pages qui vont suivre.


LA QUESTION SOCIALE

On a dit quelquefois qu’il n’y avait pas une question sociale, mais une série de problèmes sociaux qu’il convenait de séparer les uns des autres pour les résoudre successivement. Nous ne saurions partager cette manière de voir. Sans doute ce n’est pas là une de ces questions que l’on puisse trancher en bloc et d’un seul coup, mais il ne faut pas isoler les uns des autres les termes du problème et, pour arriver à une solution satisfaisante, on doit les étudier avec des vues d’ensemble à la lumière d’un principe commun.

Pour nous, la question sociale peut se ramener à une idée unique : la répartition équitable des avantages et des charges de la société entre ses membres. Si cette notion est exacte, on voit qu’elle déborde l’ancienne devise : Liberté, Egalité, Fraternité, en y ajoutant un élément encore supérieur : l’idée de justice. La réalisation de cette idée, qui suppose un pouvoir répartiteur puissant, impartial et éclairé, n’est pas forcément liée à telle ou telle forme de gouvernement, mais il faut reconnaître qu’elle puise une grande force et de particulières facilités dans la forme démocratique. Là où le peuple, c’est-à-dire le plus grand nombre commande en maître, il semble qu’aucun obstacle ne puisse entraver la mise en œuvre d’un programme qui a précisément pour but l’amélioration du sort du plus grand nombre, Mais de ce que le peuple n’a pas d’autorité positive au-dessus de lui, il ne s’ensuit pas que son pouvoir soit absolu, car il peut se heurter à des lois naturelles et à des forces économiques qui résistent à sa force et paralysent ses lois. Non ! malgré sa souveraineté nominale, le législateur issu du suffrage universel ne peut pas distribuer à son gré la fortune, pas plus que la santé et le bonheur. Il faut en prendre son parti, les bonnes réformes sociales, les réformes durables ne peuvent résulter que de la collaboration des lois et des mœurs : quand des lois interviennent d’une façon brutale et maladroite dans l’organisme social, elles risquent défausser les rouages et