Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guerre d’un train spécial, transportant une maison de bois démontable avec parquet ajusté, pour ne pas souffrir de l’humidité. Nous savons, d’autre part, que ce besoin d’aise et de confort est nécessité par la crainte des refroidissemens et des maux de gorge, car Guillaume II ne peut pas jouer, comme on dit, avec sa santé. Des préoccupations aussi constantes cadrent mal avec l’idée que nous nous faisons d’un vrai soldat.

Le vrai soldat de cette guerre, il ne faut pas le chercher parmi les Allemands couronnés qui n’ont fait que la suivre de loin ; il est à la tête de la petite armée belge qui lutte avec désespoir pour défendre ses foyers. Le vrai soldat, c’est celui qu’on a vu bravant le danger sur la ligne de feu et dans les tranchées, afin de souffler à ses jeunes troupes le sang-froid et l’héroïsme de son âme inaccessible aux menaces comme à la peur. Le vrai soldat, c’est celui qui s’est révélé sur les champs de bataille de Louvain, d’Anvers et de l’Yser comme un grand général et comme un grand roi : c’est Sa Majesté le roi Albert.

Peut-être aussi Guillaume II, s’il est resté aussi longtemps pacifique, se défiait-il des résultats d’une nouvelle lutte, quoiqu’il exaltât dans ses discours les prouesses de ses devanciers et recommandât souvent à ses soldats de tenir leur poudre sèche. Peut-être redoutait-il la fortune changeante des batailles, en se répétant les paroles de Bismarck[1] au sujet des guerres préventives, des guerres qui ne sont inspirées que par l’envie d’écraser un adversaire avant qu’il soit prêt : « Nous ne pouvons pas lire dans les cartes de la Providence. » Peut-être encore appréhendait-il l’inconnu représenté dans les calculs politiques les mieux combinés par ces impondérables dont le même homme d’Etat prisait si fort la valeur. Qu’un jeune souverain, tel que l’Empereur dans ses premières années de règne, n’ait pas voulu compromettre l’héritage de gloire et de conquêtes laissé par son grand-père, rien de plus naturel ni de plus compréhensible. Il aimait à faire cliqueter son sabre, toujours mal à propos, mais sans le tirer hors du fourreau, car il n’avait pas le goût inné de la guerre. Cependant ces sentimens pacifiques ou ces hésitations devant l’incertitude de la fortune des armes ont fini par disparaître, et une détermination toute différente leur a succédé dans l’esprit changeant de Guillaume II. Mais le

  1. Bismarck, Gedanken and Erinnerungen, Vol. II, page 93.