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appellent les marins, nos compagnies de cantonniers françaises et belges, pendant toute la durée des opérations qui vont commencer, seront occupées nuit et jour à les remettre en état.

Des autres routes qui rampent sur la plaine, il ne faut pas parler. Ce ne sont que des pistes, dont la plupart s’effacent, l’automne venu, sous l’afflux des eaux souterraines. L’eau est ici partout : dans l’air, sur terre et sous terre, où elle apparaît à moins d’un mètre de profondeur, dès qu’on crève la croute d’argile molle qu’elle soulève comme une ampoule. Il pleut trois jours sur quatre dans cette région. Les vents de noroît eux-mêmes, qui étêtent les maigres arbres, les couchent dans une attitude de panique, y charrient les lourds nuages de pluie froide formés au large, dans les zones hyperborées. Et, quand la pluie cesse, la brume monte du sol, une brume blanche, presque consistante, où hommes et choses prennent un aspect fantomal. Il arrive bien que le schoore s’éclaire entre deux ondées, comme un visage en pleurs qui s’essaie à sourire. Ces bonnes fortunes sont rares. C’est ici le pays de l’humidité, le royaume de l’eau, — l’eau douce, la bête noire de nos marins. Et c’est ici que la destinée les appelle à combattre, à fournir leur plus gigantesque effort. Pendant près de quatre semaines, du 16 octobre au 10 novembre (date de la prise de Dixmude), à l’entrée de ce delta de marécages, veillé par de vieux moulins aux ailes disloquées, un contre six, sans caleçons, sans chaussettes, sous la pluie, dans la vase plus cruelle que les obus, ils vont, avec l’amiral, s’accrocher désespérément à leur radeau de misère pour barrer la route de Dunkerque, sauver l’armée belge d’abord, puis permettre à nos armées du Nord de se masser derrière l’Yser et d’étaler le choc ennemi. « Au début d’octobre, dit le Bulletin des armées du 25 novembre, qui résume exactement la situation, l’armée belge sortait d’Anvers trop éprouvée pour participer à une manœuvre[1] ; les Anglais quittaient l’Aisne pour le Nord ; l’armée du général de Castelnau ne dépassait pas le Sud d’Arras ; celle du général de Maudhuy se défendait du Sud d’Arras au Sud de Lille. Plus loin, nous avions de la cavalerie, des territoriaux, des fusiliers marins. » Pour le moment, à

  1. Quatre de ses divisions allaient cependant défendre seules, jusqu’au 23 octobre, la route d’Ypres à Ostende, entre Dixmude et Stype, puis la ligne de l’Yser, de Dixmude à Nieuport. (Voyez plus loin.)