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Dixmude, au point le plus exposé et sauf quelques détachemens belges, qui se raidissaient, dans un suprême effort, pour coopérer à la défense, nous n’avions que les fusiliers.

L’amiral leur avait dit : « Le rôle qu’on vous donne est dangereux et solennel : on a besoin de vos courages. Pour sauver tout à fait notre aile gauche jusqu’à l’arrivée des renforts, sacrifiez-vous. Tâchez de tenir au moins quatre jours[1]. »

Au bout de quinze jours les renforts n’étaient pas encore arrivés et les fusiliers continuaient de « tenir[2]. » Ces hommes n’avaient aucune illusion sur le sort qui les attendait. Ils se savaient perdus, mais ils embrassaient toute la grandeur de leur sacrifice. « C’est à nous, les marins, écrira de Dixmude à la date du 5 novembre le fusilier P…, d’Audierne, qu’on avait confié le poste d’honneur, c’est-à-dire que dans ce coin-là il fallait tenir coûte que coûte : plutôt mourir tous que de capituler ! Et je t’assure que nous avons tenu bon, quoique nous n’étions qu’une poignée d’hommes contre une force six fois supérieure en nombre avec de l’artillerie. » Exactement 6 000 marins et 5 000 Belges, sous les ordres du général Meyser, contre trois corps d’armée allemands[3]. Une artillerie insuffisante, au moins dans les débuts[4]. Pas de pièces lourdes, pas d’avions non plus[5], rien pour nous éclairer que les rapports des cyclistes belges et les évaluations approximatives des vigies.

— Combien étiez-vous donc ? demandera au lendemain de la prise de Dixmude un major prussien fait prisonnier. 40 000 au moins, n’est-ce pas ?

Et, quand il apprendra que les marins n’étaient que 6 000, il ne pourra retenir un cri de rage :

— Ah ! si nous avions su !

  1. Pierre Loti, Illustration du 12 décembre 1914.
  2. Jusqu’au 4 novembre exactement, où les renforts arrivèrent, mais pour nous quitter presque aussitôt.
  3. « Un autre jour, le capitaine nous lit un ordre de l’amiral : il nous dit, qu’il y avait trois corps d’armée allemands contre nous et qu’il fallait les tenir à toute force en attendant les renforts. » (Lettre du fusilier M. R…, de Tudy.)
  4. « Sans doute nos braves petits canons belges donnaient de la voix. Mais que pouvaient ces roquets contre les molosses teutons ? » (Cité par le Dr Caradec.)
  5. Mais ceci n’est pas imputable à un défaut d’organisation. Il faut se rappeler que la brigade était dirigée sur Anvers et que ce sont les circonstances qui en ont fait un corps détaché, opérant loin de nos bases.