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d’un des épisodes les plus célèbres de l’histoire de Napoléon. C’est, en effet, après les dernières maisons du hameau, dans la direction de La Mure, qu’eut lieu la rencontre des troupes royales et de l’armée de l’île d’Elbe, rencontre qui aurait pu si profondément modifier notre histoire.

Certes, il est toujours un peu enfantin de dire : « Si tel événement s’était ou ne s’était pas produit, les choses eussent tourné autrement. » On sait que, plus court, le nez de Cléopâtre changeait la face du monde. Il n’est guère de rois dont l’hypothèse de la mort anticipée ne permette d’imaginer les plus étranges conséquences. A Laffrey, cependant, une supposition logiquement s’impose. C’est là que des soldats, venus pour arrêter Napoléon, l’ont mis en joue. Le commandement de : Feu ! leur a été fait : comment ne point penser qu’un coup aurait pu, aurait dû partir ? Je ne crois pas que l’histoire compte beaucoup de minutes où le destin ait été plus tragiquement en suspens.


On se rappelle la situation. Napoléon, ayant quitté l’île d’Elbe le soir du dimanche 26 février 1815, débarque le 1er mars au golfe Juan, avec un millier d’hommes environ. Se déliant des départemens royalistes de la Provence, il se décide à passer par les Alpes, malgré toutes les difficultés que présentait cette traversée hivernale. Les montagnards dauphinois, attachés aux principes de la Révolution qu’ils considéraient un peu comme leur œuvre, étaient hostiles au nouveau régime ; Napoléon savait, d’ailleurs, qu’il comptait parmi eux quelques chauds partisans. Son chirurgien Emery, qui l’avait accompagné en exil, était de Grenoble ; et l’un de ses compatriotes, le gantier Dumoulin, secrètement venu à Porto-Ferrajo, avait indiqué à l’empereur les dévouemens qui n’attendaient que son retour pour se manifester.

De Fréjus, Napoléon se dirige sur Grasse, où les habitans lui font un accueil empressé, apportant aux soldats du vin et des brassées de ces fleurs qui, au début du printemps provençal, tapissent champs et coteaux. La petite troupe s’engage ensuite dans les fort mauvais chemins qui reliaient alors le littoral aux Alpes. Jusqu’à Digne, l’étape est pénible par des sentiers couverts de neige. Napoléon passe à Sisteron le 5, et, le soir du