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même jour, entre dans Gap illuminée. Le préfet a vainement tenté d’organiser une résistance et s’est retiré à Embrun. Le voyage commence à tenir du miracle. C’est le début de la marche triomphale qu’a dépeinte Chateaubriand, avec cette magnificence de langage qui semble faite pour parler de Napoléon : « Il s’avance sans obstacle parmi ces habitans qui, quelques mois auparavant, avaient voulu l’égorger. Dans le vide qui se forme autour de son ombre gigantesque, s’il entre quelques soldats, ils sont invinciblement entraînés par l’attraction de ses aigles. Ses ennemis fascinés le cherchent et ne le voient pas ; il se cache dans sa gloire, comme le lion du Sahara se cache dans les rayons du soleil pour se dérober aux regards des chasseurs éblouis. »

Le 6 mars, la colonne impériale bivouaque à Corps, et, le lendemain, Napoléon marche sur Grenoble. Mais ici, les difficultés commencent.

La nouvelle du retour de l’empereur s’est répandue dans toute la France. La Cour a été avertie par un message au ministre de la Guerre, que le maréchal Masséna a envoyé de Marseille. Porté par un courrier jusqu’à Lyon, où s’arrête alors le télégraphe aérien, il ne parvint à Paris que le 5. L’émotion ne fut d’abord pas très grande, car on comptait que les troupes royales auraient facilement raison de l’aventurier. Le 7 mars, le jour même où Napoléon arrivait à Laffrey, Louis XVIII déclarait aux ambassadeurs : « Messieurs, je vous prie de mander à vos cours que vous m’avez vu n’étant nullement inquiet. Je suis persuadé que ceci n’altérera pas plus la tranquillité de l’Europe que celle de mon âme. » Par prudence pourtant, on charge le Comte d’Artois d’organiser la résistance à Lyon ; mais on ne doute pas que les garnisons de Gap et de Grenoble, qui ont dû être également prévenues, auront déjà pris les mesures nécessaires.

Le préfet de l’Isère, — qui n’est autre que le célèbre mathématicien Fourier, — et le lieutenant général comte Marchand, qui commande la 1re subdivision de la 7e division militaire, ont appris, en effet, l’approche de Napoléon. Bien qu’un peu gênés par les bienfaits dont celui-ci les a jadis tous deux comblés, ils se décident à faire leur devoir de fonctionnaires royaux. Marchand envoie contre lui les troupes dont il se croit le plus sûr : une compagnie du 3e génie et un bataillon du