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avons perdu 1 0871 vaisseaux et infinie après Trafalgar nous perdions encore 500 vaisseaux par an. Le nombre total des vaisseaux perdus pendant le premier semestre de la guerre actuelle a été de 36 seulement. » Il est vrai que cela se passait avant le 18 février ; mais comme sa force navale n’a pas augmenté depuis cette époque et que l’Allemagne usait déjà auparavant de tous ses moyens, si les proportions constatées par M. Churchill sont dépassées, il est à croire qu’elles ne le seront pas de beaucoup.

La question des vivres dont nous avons dit un mot est une de celles qui préoccupent le plus l’Allemagne. Est-elle déjà menacée dans sa subsistance ? Le sera-t-elle bientôt ? Les renseignemens qu’on reçoit à ce sujet ne sont pas concordans. Mais comment n’être pas frappé de l’angoisse qui perce dans les lignes suivantes de la réponse de Berlin à Washington ? « Le gouvernement allemand veut croire que le gouvernement américain saura apprécier toute le gravité de la lutte dans laquelle l’Allemagne est engagée et où il y va de son existence même, et comprendra le but des mesures qu’adopte l’Allemagne, mesures qui n’auraient pas été adoptées sans les raisons de défense nationale. » Il y va de l’existence même de l’Allemagne : soit, cela n’excuse pas ses procédés, mais explique l’état d’esprit qui l’amène à en user. Il faut donc que les neutres sacrifient leurs intérêts et leurs droits à l’existence de l’Allemagne. Celle-ci est-elle donc en cause ? Un fait s’est produit, qui mérite une attention particulière : l’établissement du monopole des blés entre les mains du gouvernement impérial. Jusqu’ici, c’est la seule denrée qui ait été l’objet d’une mesure de ce genre : le gouvernement l’a accaparée, il se charge d’en faire la distribution. On a remarqué d’autre part la phrase de sir Ed. Grey, citée plus haut, où il est dit que l’Angleterre a toujours soutenu le principe de la libre circulation des vivres destinés à la population civile. C’est une application du principe plus général que la population civile doit être maintenue hors de la guerre et en souffrir le moins possible : on sait, soit dit en passant, quelles atteintes nombreuses, brutales, cruelles, l’Allemagne a portées à ce principe qu’elle invoque aujourd’hui dans un cas particulier et pour son utilité propre. Il n’en est pas moins respectable, et l’Angleterre l’a toujours respecté ; mais le cas change d’aspect et de caractère lorsque l’alimentation de la population civile est assurée par l’intervention gouvernementale au lieu de l’être par la liberté du commerce. C’est à ce point de vue que s’est placé le gouvernement anglais lorsqu’il a arrêté le paquebot américain Wilhelmina, qui transportait des céréales en