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Dans un dîner officiel, étant voisin d’une ambassadrice de la Triple-Entente, il n’a rien imaginé de plus galant ni de plus spirituel que de lui parler de son rêve favori, qui était de faire la guerre et de mener une charge à la tête de son régiment. Son militarisme n’est pas cependant dépourvu de toutes prétentions intellectuelles, voire littéraires. Un journal de chasse, publié sous son nom après un voyage aux Indes, nous a narré tout au long ses exploits cynégétiques. Moins banal et plus personnel est un petit morceau, reproduit avec empressement par la presse allemande, où il disait adieu, au moment de quitter Dantzig, à son régiment des hussards de la.Mort. Son âme s’y répand avec une certaine poésie guerrière. Les Allemands pacifiques, — ils sont très nombreux, quoi qu’on en pense, — s’ils ont lu ce dithyrambe en l’honneur de Bellone, ont dû avoir le cœur serré d’appréhensions.

Les relations entre l’Empereur et son fils ont cessé d’être très cordiales du jour où le jeune prince, assoiffé d’ambition et de popularité, a voulu faire parler de lui en se mêlant de politique. Sa première intervention publique dans les affaires de l’État mérite d’être rappelée, parce qu’elle est une indication très frappante de ses sentimens à l’égard de la France. Elle a eu lieu en 1911, à cette séance du Reichstag où M. de Heydebrand, le porte-parole des junkers prussiens, prononça une critique acerbe de la politique allemande au Maroc, du traité du 4 novembre, et de la façon dont le chancelier avait défendu les intérêts de l’Empire. Pendant cette philippique, le Kronprinz, seul dans la loge de la Cour, faisait des signes répétés d’approbation. Depuis lors, il est devenu l’espoir du parti réactionnaire et de la caste militaire. Encouragé par ce beau succès, il n’a laissé échapper aucune occasion importante d’exprimer lui-même ou de faire connaître par des tiers sa pensée, même lorsqu’elle était en désaccord avec celle de son père, personnifiée par le chancelier. Il serait oiseux de citer ces diverses manifestations. Un télégramme de félicitations au principal héros de l’affaire de Saverne a achevé de gagner au prince impérial le cœur de ceux qui, en Prusse, portent « l’habit du Roi, » c’est-à-dire de tous les officiers.

Si, encore, il s’était toujours tenu sur un terrain mitoyen entre la politique et l’armée ! Mais quel manque de tact et de générosité de contrecarrer, comme il le fit, les efforts du