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par leur pacte d’alliance de se communiquer mutuellement leurs projets. L’Italie a excipé de ce manque d’exécution du traité, et elle a allégué en même temps le caractère défensif de la Triplice pour rester en dehors d’une lutte où les agresseurs étaient incontestablement ses alliées.

A la Wilhelmstrasse, M. de Jagow a semblé d’abord un peu dépaysé, restant sur la réserve vis-à-vis du corps diplomatique étranger, presque sur la défensive, comme s’il redoutait des questions indiscrètes. La situation européenne était, du reste, pleine d’incertitudes et de périls. La guerre des Balkans battait son plein. Le gouvernement impérial, répondait au sentiment public allemand, paraissait soucieux de conserver l’accord entre les grandes Puissances, spectatrices inquiètes de l’écroulement de la Turquie. L’intelligence du secrétaire d’Etat dut activement s’employer, d’abord à calmer et à morigéner l’Autriche-Hongrie, et ensuite à l’aider, de concert avec l’Italie, à obtenir des compensations qui eussent l’apparence de succès diplomatiques, l’interdiction aux Serbes de l’accès de l’Adriatique, l’abandon de Scutari par le Monténégro et la constitution d’une Albanie indépendante. Il ne s’est séparé d’elle qu’au moment où elle a essayé en vain de remettre encore en question la paix balkanique, définitivement signée à Bucarest.

A l’égard de la France, obéissant, on peut le supposer, à des ordres supérieurs, M. de Jagow se montrait sans aménité. Sa réponse, lors de l’interpellation au Reichstag sur l’incident de Nancy, dépassait le ton permis à la mauvaise humeur officielle. Peut-être y avait-il, dans sa façon hâtive et malveillante de juger des faits non encore établis, un secret désir de complaire aux sentimens hostiles à la République française de la majorité du Parlement impérial et de gagner sa faveur. Les débuts du nouveau secrétaire d’Etat, comme orateur, avaient manqué d’éclat. Lui-même avouait avec franchise la crainte qui le tenaillait, lorsqu’il devait parler en public. Comme la plupart des diplomates, ses confrères, il n’a pas le don de l’éloquence, et chez lui la plume vaut mieux que la parole.

Ce petit homme intelligent, d’un aspect extraordinairement jeune, quoiqu’il ait dépassé maintenant le tournant de la cinquantaine, d’une mise toujours soignée et d’une grande politesse de manières, doué, de plus, de goûts artistiques, est l’antithèse de M. de Kiderlen. Celui-ci, un Souabe à la forte carrure, très