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suivre en tout la présente copie. » Signé et daté : à La Haye, ce 12 octobre 1740. F. de Voltaire. Il insistait encore à la fin du volume : « Dans le tems qu’on finissoit cette édition, il en a paru deux autres : l’une est intitulée de Londres, chez Jean Mayer (sic) ; l’autre à La Haye chez van Duren. Elles sont très différentes du manuscrit original ; ce qu’il est aisé de reconnaître aux indications suivantes… etc. Il y a d’ailleurs des omissions considérables, des interpollations (sic), des fautes en très grand nombre dans ces éditions que j’indique. Ainsi, lorsque les libraires qui les ont faites voudront réimprimer ce livre, je les prie de suivre en tout la présente copie. »

Quant à la préface, elle ne disait rien de précis, mais elle donnait beaucoup à entendre :

« Je crois rendre service aux hommes, écrivait Voltaire, en publiant l’Essai de critique sur Machiavel. L’illustre auteur de cette réfutation est une de ces grandes âmes que le ciel forme rarement pour ramener le genre humain à la vertu par leurs préceptes et par leurs exemples. Il mit par écrit ces pensées, il y a quelques années, dans le seul dessein d’écrire des vérités que son cœur lui dictoit. Il étoit encore très jeune, il vouloit se former à la sagesse, à la vertu ; il comptoit ne donner des leçons qu’à soi-même, mais ces leçons qu’il s’est données méritent d’être celles de tous les Rois et peuvent être la source du bonheur des hommes. Il me fit l’honneur de m’envoier son manuscript, je crus qu’il étoit de mon devoir de lui demander la permission de le publier. Le poison de Machiavel est trop public, il falloit que l’antidote le fût aussi. On s’arrachoit à l’envi les copies manuscriptes, il en couroit déjà de très fautives, et l’ouvrage alloit paraître défiguré, si je n’avois eu le soin de fournir cette copie exacte, à laquelle j’espère que les Libraires à qui j’en ai fait présent se conformeront. On sera sans doute étonné quand j’apprendrai aux lecteurs que celui qui écrit en françois d’un style si noble, si énergique, et souvent si pur, est un jeune étranger, qui n’étoit jamais venu en France… C’est une chose inouïe, je l’avoue ; mais c’est ainsi que celui dont je publie l’ouvrage a réussi dans toutes les choses auxquelles il s’est appliqué. Qu’il soit Anglais, Espagnol ou Italien, il n’importe, ce n’est pas de sa patrie, mais de son livre qu’il s’agit ici. Je le crois mieux fait et mieux écrit que celui de Machiavel, et c’est un bonheur pour le genre humain qu’enfin