Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/351

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

matières sérieuse où il a fallu des réfutations solides, mais il y en a d’autres où j’ai cru qu’il était permis d’égayer le lecteur. Je ne sais rien de pire que l’ennui, et je crois que l’on instruit toujours mal le lecteur lorsqu’on le fait bâiller. Peut-être y a-t-il de la présomption, à mon âge, de me flatter d’instruire le public ! mais peut-être n’y en a-t-il point à vouloir lui plaire. J’aurais bien voulu semer par-ci par-là de ce sel attique tant estimé des anciens ; mais ce n’est pas l’affaire de tout le monde. J’enverrai l’ouvrage, chapitre par chapitre, à M. de Voltaire. Votre jugement et votre goût me tiendra lieu de celui du public ; je vous demande en amitié de ne point me déguiser vos sentimens.

« Mais je m’aperçois que, comme l’éternel abbé de Chaulieu, je ne parle que de moi-même. Je vous en demande mille pardons, madame, la matière m’entraîne et Machiavel m’a séduit. »

Auprès de Voltaire lui-même, le royal débutant insiste, exposant modestement ses intentions, quelques jours plus tard, le 2 novembre :

« Cette réfutation de Machiavel, à laquelle vous vous intéressez, est achevée. Je commence à présent à la reprendre par le premier chapitre, pour corriger et pour rendre, si je le puis, cet ouvrage digne de passer à la postérité. Pour ne vous point faire attendre, je vous envoie quelques morceaux de ce marbre brut, qui ne sont pas encore polis.

« J’ai envoyé, il y a huit jours, l’Avant-Propos à la marquise : vous recevrez tous les chapitres corrigés et dans leur ordre, lorsqu’ils seront achevés. Quoique je ne veuille point mettre mon nom à cet ouvrage, je voudrais cependant, si le public en soupçonnait l’auteur, qu’il ne pût me faire du tort. Je vous prie, par cette considération, de me faire l’amitié de me dire naturellement ce qu’il faut y corriger. Vous sentez que votre indulgence, en ce cas, me serait préjudiciable et funeste.

« Je m’étais ouvert à quelqu’un du dessein que j’avais de réfuter Machiavel ; ce quelqu’un m’assura que c’était peine perdue, puisque l’on trouvait, dans les Notes politiques d’Amelot de la Houssaye sur Tacite, une réfutation complète du Prince politique. J’ai donc lu Amelot et ses Notes, mais je n’y ai point trouvé ce qu’on m’avait dit ; ce sont quelques maximes de ce politique dangereux et détestable qu’on réfute, mais ce n’est pas l’ouvrage en corps.