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et accompagne la mort d’un malheureux, que leurs cœurs ne seraient pas assez endurcis pour renier constamment l’humanité, et qu’ils ne seraient pas d’un sang-froid assez dénaturé pour ne point être attendris. »

Supprimé. Un peu plus loin, il y avait, dans le manuscrit de Frédéric : « Ils ne se portent à la sévérité (les bons princes) que pour éviter une rigueur plus fâcheuse qu’ils prévoient s’ils se conduisaient autrement ; et ils ne prennent de ces résolutions funestes que dans des cas désespérés et pareils à ceux où un homme se sentant un membre gangrené, malgré la tendresse qu’il a pour lui-même, se résoudrait à le laisser retrancher, pour garantir et pour sauver du moins par cette opération douloureuse le reste de son corps. Ce n’est donc pas sans la plus grande nécessité qu’un prince doit attentera la vie de ses sujets : c’est donc sur quoi il doit être le plus circonspect et le plus scrupuleux. »

Réduit par Voltaire à une seule phrase très brève, le dernier aphorisme est soigneusement coupé. On ne sait pas ce qui peut arriver ! Plus loin encore, il y avait cette amorce de développement :

« Pour répondre un mot à l’auteur, il me suffira d’une réflexion ; c’est que les crimes ont une enchaînure si funeste, qu’ils se suivent nécessairement dès qu’une fois les premiers sont commis. Ainsi l’usurpation attire après soi le bannissement, la proscription, la confiscation et le meurtre. Je demande s’il n’y a pas une dureté affreuse, s’il n’y a pas une ambition exécrable d’aspirer à la souveraineté, lorsqu’on prévoit les crimes qu’il faut commettre pour s’y maintenir. Je demande s’il y a un intérêt personnel dans le monde qui doive faire résoudre un homme à faire périr des innocens qui s’opposent à son usurpation, et quel appât peut avoir une couronne souillée de sang. Ces réflexions feraient peut-être peu d’impression sur Machiavel, mais je me persuade que tout l’univers n’est pas aussi corrompu que lui. »

Transverso calamo signum. A côté de ces ratures, on en pourrait signaler d’autres. Mais il faut remarquer que Voltaire ne se borne pas à aérer le français un peu germanique et indigeste de l’auteur. Il ne se contente pas d’alléger une prose un peu compacte ; quel que soit le service qu’au point de vue littéraire il rende à son royal élève, il a la prétention de lui en