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rendre, par surcroit ou tout d’abord, un bien plus grand, d’ordre politique, en l’empêchant de trop promettre et de trop s’interdire, de trop se compromettre. C’est ce que montrerait aussi un pareil examen du chapitre XVIII : En quelle manière les princes doivent observer la foi. Dans ce chapitre comme dans le précédent, plusieurs paragraphes sont barrés. Voltaire y fait la chasse aux fautes de style ou de goût, aux outrages inutiles, aux invectives et épithètes superflues ; oui, sans doute, mais il n’est pas un régent de collège, pour n’avoir que cet unique, ni même que ce principal souci. Comme il est nécessaire, pour faire taire certaines gens, que l’ouvrage « paraisse un peu plus chrétien, » — ce qui, venant de Voltaire est proprement « le comble » du machiavélisme entendu au sens courant, — il efface, ajoute et change. A la fin d’un petit morceau sur César Borgia, prototype et parangon du Prince selon Machiavel, Frédéric avait voulu mettre : « Il lui fallait des exemples (à Machiavel) ; mais d’où les aurait-il pris que du registre des procès criminels ou de l’histoire des Papes ? » Reculant devant le scandale, mouvement admirable chez lui, Voltaire saisit le grattoir et la sandaraque. Au lieu de « l’histoire des Papes, » il met tranquillement : « l’histoire des Nérons et de leurs semblables, » car Néron n’est plus là pour se plaindre, et personne n’osera s’avouer semblable à Néron, tandis qu’il y a toujours un Pape, avec qui les rois ont toujours des affaires. De même, Frédéric voulait donner comme une des causes de succès d’Alexandre VI, avec « le contraste de l’ambition française et espagnole, la désunion et la haine des familles d’Italie, les passions et la faiblesse de Louis XII, » « les sommes d’argent qu’extorquait Sa Sainteté et qui la rendirent très puissante. » Voltaire tolère la « faiblesse » de Louis XII, mais ne supporte pas ses « passions, » et surtout ne saurait souffrir qu’il soit fait allusion aux exactions et extorsions d’un Pape, fût-ce Borgia, fût-ce Alexandre VI ! Partout et surtout il s’attache à « christianiser » la prose royale. Si Frédéric avance quelque part que « le peuple aimera mieux un prince incrédule, mais honnête homme… qu’un orthodoxe scélérat et malfaisant, » un prince incrédule, fi donc ! Voltaire ne l’accepte que « sceptique. »

Envers les États temporels, il a, pour les mêmes motifs, les mêmes attentions. Frédéric avait écrit : « Une certaine Puissance, dans un manifeste, déclare positivement les raisons de