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(général Grossetti), qui doit remplacer sur l’Yser la 2e division belge, aux trois quarts démolie, n’a pas encore eu le temps d’entrer en ligne. À Dixmude même, la pression est formidable ; les obus pleuvent sur nous de tous les côtés, de Wladsloo, d’Eessen, de Clercken, où les Allemands ont transporté leur artillerie lourde. En même temps, avec l’obstination d’un bélier qui donne du front contre l’obstacle, l’infanterie ennemie, à intervalles réguliers d’une heure, prononce contre nos tranchées des attaques toujours précédées de quelques obus de gros calibre. On dirait qu’elle veut retenir notre attention, nous empêcher de remarquer ce qui se passe là-bas, dans la dépression de l’Yser, où moutonne une houle grise et dont le schoore semble en marche vers Oud-Stuyvekenskerke. Mais le mouvement n’échappe pas à l’amiral, qui l’observe de Caeskerke. D’où viennent ces troupes ? De Tervaete, de Stuyvekenskerke ou d’ailleurs ? Nous l’ignorons et peu importe. Qu’une brèche ou une autre ait été ouverte dans la défense du moyen Yser, l’infiltration allemande a gagné jusqu’à nous : Dixmude est tournée !

Dans la situation la plus critique où se soit encore trouvée la brigade, l’amiral ne dispose que de sa réserve générale et des réserves des secteurs : pour barrer l’accès des ponts de Dixmude, le commandant Rabot, avec un bataillon, court étayer l’aile gauche du front ; le commandant Jeanniot, avec un autre bataillon, se glisse vers Oud-Stuyvekenskerke, où il a pour instruction de s’établir « coûte que coûte. » Manœuvre singulièrement difficile à exécuter, sous un feu qui nous prenait de plein fouet et avec des hommes déjà brisés de fatigue, crevant de froid et de sommeil. Mais ces hommes étaient des marins.

« Le 24 octobre, écrit le fusilier F…, de l’île de Sein, on venait de passer la journée et la nuit en première ligne. Cette nuit-là, on avait eu deux hommes de tués dans la tranchée et quatre de blessés par un obus, et l’on allait à l’arrière pour avoir un repos bien gagné. À peine le jus avalé, branlebas, comme on dit à bord, et sac au dos… On marchait dans les fossés, et les obus tombaient devant nous. Arrivés plus près, les balles commencent à siffler ; on avance à quatre pattes sur un terrain découvert, et rien pour s’abriter. Si on levait la tête, on avait tout de suite des blessés. Nous autres, on ne voyait pas les Boches. On a été au moins trois quarts d’heure à