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fournaise. Un autre, tout jeune, erre comme une âme en peine à la lisière des champs. Un officier lui demande ce qu’il cherche :

— Ma compagnie. On a trinqué aujourd’hui. Il ne doit pas en rester lourd.

Et, subitement redressé, une flamme aux yeux :

— Mais ça ne fait rien, capitaine, ils ne passeront pas[1] ! Ils ne passeront pas, mais, pour les empêcher d’entrer dans Dixmude, c’est trop tard. Des mousqueteries éclatent dans notre dos ; il y a un fusil derrière chaque tas de moellons. L’ennemi fût brusquement sorti de terre qu’on n’eût pas été plus surpris. Il se peut qu’un certain nombre des assaillans qui s’étaient réfugiés dans les caves de Dixmude, après l’échauffourée du 25 octobre, soient sortis à ce moment de leurs terriers pour ajouter à la confusion. On connaîtra quelque jour peut-être l’explication du mystère. De tous les côtés, hors ville, en ville, sur l’Yser, nous étions dans le feu. C’était « la guerre des rues, avec ses surprises et ses embuscades, » dit le lieutenant de vaisseau A… Qu’étaient devenues nos compagnies de couverture, celles du cimetière et celles de la route de Beerst ? De la compagnie du commandant Rabot, tué avec les trois quarts de sa section dans la tranchée qu’il occupait sur le flanc Nord de la défense, il ne reste que quelques hommes ralliés autour du lieutenant de vaisseau Sérieyx et qui luttent avec lui jusqu’ « au dernier fusil. » Blessé, désarmé, Sérieyx est joint à quelques autres éclopés dont la colonne attaquante se fait un pare-balles pour arriver jusqu’à l’Yser. « Spectacle abominable, dit le lieutenant de vaisseau A…, de prisonniers français obligés de marcher en avant des Boches qui, à genoux derrière eux, tiraient entre leurs jambes ! » Nos hommes, de l’autre côté de l’Yser, n’osaient riposter.

— Criez-leur de se rendre, ordonne le major à Sérieyx.

— Comment pouvez-vous penser qu’ils se rendront ? répond avec une sublime impudence le nouveau Regulus. Ils sont dix mille et vous n’êtes qu’une poignée !

Au même instant une vive fusillade éclate sur la droite de l’ennemi et détourne son attention : faisant signe aux siens, Sérieyx se jette dans l’Yser, le traverse à la nage, malgré

  1. Cf. Dr Caradec, op. cit.