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son bras cassé, et court rendre compte de ce qui se passe à l’amiral.

C’est une contre-attaque lancée par le commandant de la défense et menée par le lieutenant de vaisseau d’Albia qui l’a dégagé. Une autre compagnie, avec le commandant Mauros, parvient à se retrancher derrière la barricade du passage à niveau de la route d’Eessen ; sur toutes les voies aboutissant à l’Yser et spécialement au Haut-Pont, à la passerelle et au pont du chemin de fer, des sections s’établissent fortement ou consolident les sections qui les occupent déjà. Ces dispositions, prises à la hâte par le commandant Delage, réussiront-elles à sauver Dixmude ? Tout au plus permettront-elles de prolonger un peu son agonie. Les minutes, désormais, lui sont comptées. Après avoir traversé à la baïonnette la colonne ennemie qui s’était aventurée jusqu’au Haut-Pont, la section du lieutenant d’Albia se heurtait à d’autres colonnes débouchant par la Grand’Place et les rues avoisinantes ; la barricade de la route d’Eessen était emportée. Allemands et Français ne formaient plus qu’une grande mêlée hurlante qui tourbillonnait en ville et sur le bord de l’Yser. On se fusillait à bout portant ; on s’égorgeait à la baïonnette, au couteau, à coups de crosse, et, quand les crosses étaient rompues à force de cogner, on avait encore ses pieds, ses poings, sa tête, ses dents. À trois heures de l’après-midi, la moitié de nos hommes étaient hors de combat, tués, blessés ou prisonniers, et les colonnes allemandes, par la brèche ouverte dans la défense, continuaient à tomber dans Dixmude. Elles nous refoulaient vers les ponts que nous tenions toujours, que nous tiendrons jusqu’au bout. L’ennemi pourra prendre Dixmude, — le petit matelot a raison, — il ne passera pas l’Yser. Une dernière fois, pour dégager la compagnie Mauros qui se replie sous un feu terrible, les débris des sections se reforment, officiers en tête. Et c’est de nouveau la charge, la mêlée tourbillonnante par les rues, le choc effroyable de deux électricités rivales. Ecumant, la face pourpre, un marin, qui a vu tomber son frère, jure qu’il aura la peau de vingt Boches. Il les compte à mesure que sa baïonnette plonge : « Et d’un ! Et de deux ! Et de trois ! Et de quatre !… » Ainsi jusqu’à vingt-deux. Quand il n’a plus de ventre boche à crever, il se retourne contre ses compagnons : il était fou…

Mais que peut l’héroïsme individuel contre le pullulement