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dont il ne discutait plus la justesse ; il obligea les moines et les nonnes à une vie régulière, il fit supprimer les images de piété, il condamna à être promenés sur des ânes trois personnages qui affirmaient avoir eu une vision de la Vierge. Ces tentatives semblèrent dangereuses à Rome. Le nonce auprès du gouvernement vénitien reçut mission d’examiner le cas de Vergerio. Ce nonce était le littérateur Giovanni della Casa, qui venait d’être nommé archevêque de Bénévent, bien qu’il n’eût pas même reçu les ordres mineurs ; il était l’auteur d’un Capitolo intitulé Il Forno, d’une licence extrême. Etrange censeur assurément et qui justifiait les critiques dont Vergerio se faisait de plus en plus l’interprète. Quand Della Casa voulut le faire comparaître, Vergerio lui répondit qu’un évêque ne pouvait être jugé par un évêque et il en appela au prochain concile. Non content de discipliner son diocèse, il alla catéchiser toute la vallée du Pô. Un an se passa, Della Casa n’osait lui faire son procès et, l’ayant instruit, il n’osa en envoyer les pièces à Rome, car elles étaient des plus compromettantes pour l’évêque de Fano, Pietro Bertano. Enfin le dossier partit ; crainte des accidens de route, il fut caché dans un coffre à linge adresse à la garde-robe pontificale (1548). Un représentant du Saint-Siège partit alors pour l’Istrie avec des pouvoirs étendus contre les hérétiques ; il profita d’une série d’années mauvaises pour donner à croire aux populations que si les troupeaux étaient décimés, si les raisins ne mûrissaient pas, si les moissons pourrissaient, si les oliviers ne donnaient plus de fruits, la faute en était à l’évêque et à ses adhérens ; il conseillait aux habitans de le lapider. Cependant Vergerio se défendait des accusations portées contre lui ; très sincèrement sans doute, il ne pensait pas s’être mis en hostilité contre l’autorité pontificale en préconisant certaines réformes et en les appliquant. L’inquisiteur Fra Marino et l’avocat fiscal Bucello pensaient de même et attestaient que jamais évêque n’avait « gouverné plus catholiquement son diocèse (janvier 1547) ; » le cardinal de Mantoue le trouvait « irrépréhensible. » Un incident survint. Le jurisconsulte Spiera, qui avait mené une vie de travail et de méditation et professé avec éclat à Padoue, fut pris d’une sorte de délire furieux et de crises de folie à la pensée qu’il ne savait s’il devait, pour assurer son salut, suivre la voie que lui traçait l’Église catholique ou bien les conseils des novateurs. Cette