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leurs calomnies un théâtre qu’ils avaient savamment corrompu. Oui, en vérité, l’air de nos salles avait besoin d’être purifié, comme dans ces brasseries alsaciennes où Hansi brûlait du sucre après le départ des officiers prussiens.

Chaque théâtre recherche dans son répertoire les pièces qui peuvent s’adapter aux circonstances actuelles et s’harmoniser avec notre état d’esprit, — ce genre de pièces, écrites avant la guerre, dont on jurerait qu’elles ont été écrites après. Le type en est la Flambée. Aussi a-t-elle retrouvé un éclatant succès. Je ne l’avais jamais vue. Je m’en réjouis doublement, parce que j’y ai pris le plaisir de la nouveauté et parce que, dans le temps de paix, je n’aurais pas manqué de faire à l’auteur certaines objections qui, en temps de guerre, tombent d’elles-mêmes. La pièce est trop connue pour que j’en rappelle même le sujet. Chacun sait que le héros, un officier supérieur de l’armée française, le colonel Felt, s’est endetté pour celui de tous les mauvais motifs qui porte en lui le plus d’excuses : le désir d’entourer de bien-être une épouse légitime. Ainsi il s’est mis entre les mains d’un louche personnage, Glogau, qui, jugeant le moment venu, lui met le couteau sur la gorge et lui donne à choisir entre le scandale ou la livraison de plans intéressant la défense nationale. Sous l’outrage de cette odieuse proposition, le colonel bondit et étrangle Glogau. Le geste est beau. Il n’en reste pas moins que le colonel a assassiné son prêteur, et que cette manière de payer ses dettes est difficile à admettre. Qu’en pensera la justice ? Elle n’en pensera rien. Un ministre passait par-là ; pas même un ministre, un ancien ministre. Il a parlé, comme savent parler certains ministres, au procureur de la République ; celui-ci, qui a compris, modifiera les conclusions de son enquête. Je sais bien que telle était la mainmise de la politique sur la justice dans le délicieux régime qui a précédé la guerre. Dans la Flambée, on nous donne ces pratiques pour excellentes et tout à fait propres à rassurer les honnêtes gens… Mais aujourd’hui, qui s’arrêterait à de telles vétilles, et quel sens auraient ces vaines critiques ? Glogau était un espion. L’espion Glogau vient d’être tué. Cela en fait un de moins. Il n’y a pas autre chose à voir, et tout le reste est littérature.

L’espionnage a été souvent mis à la scène ; il a notamment servi de thème à l’une des pièces les plus mouvementées de Sardou, Dora. Je serais étonné qu’aucun directeur de théâtre ne fût tenté de la reprendre. A côté de la pièce de M. Kistemæckers, qui est tout en force et qui ne raffine pas, on aurait plaisir à renouer connaissance