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jeune Abbas II et le représentant auprès de lui du pouvoir anglais. Quelques-uns de ces mémorables conflits nous sont racontés par lord Cromer avec une extrême abondance de détails caractéristiques ; et l’agrément de leur récit se relève encore d’une précieuse portée instructive, qui n’est pas sans nous rappeler celle des vénérables et touchantes vantardises militaires de notre vieux Montluc. « Je m’abandonne sans scrupule à ces observations, — nous dit notamment lord Cromer, — parce que l’une de mes fins dominantes, dans cette relation de ma conduite en Égypte, a été d’offrir à ceux de mes compatriotes qui auront plus tard l’occasion de se trouver mêlés à la diplomatie ou à la politique orientales une série d’exemples, capables de leur montrer de quelle façon ont été traitées des questions comme celles qui se sont élevées pendant mon séjour en Égypte ; et quant à savoir si ma façon de traiter ces questions a été ou non couronnée de succès, c’est là un point que je les laisse libres d’apprécier à leur gré. »

C’est donc à l’analyse de ces premiers chapitres du livre que j’aurais dû m’employer de préférence ; et, en effet, j’en avais eu tout d’abord l’intention, lorsque m’est venu soudain un doute dont je ne puis me défendre de faire ici, très humblement, l’aveu. Avec ma profonde ignorance politique et même historique, je me suis demandé si l’attitude adoptée par lord Cromer, dans ces conflits incessans avec le jeune Khédive, n’avait pas en soi quelque chose d’un peu trop impérieux et trop rude, qui risquait d’irriter sans profit la jeune âme, profondément susceptible, du khédive Abbas II. Je me suis demandé si, tout au moins, des formes plus douces n’auraient pas été, elles aussi, « couronnées de succès, » — des formes comme celles dont s’est servi le successeur en Égypte de lord Cromer, sir Eldon Gorst et dont nous savons en tout cas qu’elles ont valu au diplomate « libéral » l’amitié et la gratitude personnelles d’un prince qui, sûrement, ne doit pas avoir gardé un souvenir aussi aimable de ses relations avec son premier « protecteur » anglais. Le fait est qu’il y a là, évidemment, l’opposition de deux écoles, de l’ancienne école « conservatrice, » ou encore « unioniste, » et de la nouvelle école « libérale. » Mais qui sait si, sans la mort prématurée de sir Elden Gorst, le Khédive, continuant à subir son heureuse influence, n’aurait pas hésité à aller, en fin de compte, chercher refuge et appui auprès d’un nouveau « protecteur, » pour lequel le mot de « colonisation » a toujours eu plus ou moins le sens secret d’ « extermination ? » Malheureuse, trois fois malheureuse Égypte, en vérité, si jamais l’aveugle folie de l’un de ses souverains la condamnait à échanger