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maréchal « Vorwaerts, » le vieux Blücher, ne put revendiquer la première place parmi les vainqueurs de Waterloo. La gloire principale appartient légitimement à Wellington et à la ténacité britannique.

Le militarisme prussien eut une nouvelle et longue période de décadence après 1815, sous les règnes pacifiques de Frédéric-Guillaume III et de Frédéric-Guillaume IV. Son déclin fut surtout visible au moment de l’humiliante convention d’Olmütz. Il était réservé à Guillaume Ier de renouer la chaîne, brisée à la mort de Frédéric II, des grands souverains militaires de la dynastie des Hohenzollern. Non pas qu’il fût doué lui-même des talens d’un général en chef ; il n’était qu’un soldat, mais il possédait une qualité plus précieuse chez un roi que l’art de commander une armée, celle de connaître les hommes et de bien choisir les outils les plus propres à exécuter les desseins qu’il avait approuvés. Après avoir appelé Bismarck à la présidence du ministère prussien, en lui laissant carte blanche pour diriger la politique audacieuse qui devait fonder la grandeur de la maison royale de Prusse sur l’unification de l’Allemagne, Guillaume Ier lui donna deux collaborateurs indispensables, le général de Roon, le réorganisateur de l’armée, et le général de Moltke, chef du grand état-major. Sans inventer, à proprement parler, de stratégie nouvelle, le futur maréchal s’est inspiré si bien des leçons de Frédéric II et des exemples de Napoléon qu’il est devenu à son tour un maître dans l’art de la guerre.

Quant au militarisme prussien ou, en d’autres termes, quant à la caste militaire, les victoires de 1866 et de 1870 lui ont tourné la tête : elle s’est habituée à se considérer comme la personnification de la nation elle-même. Jamais elle n’a été plus puissante ni plus impérieuse que sous le régime imposé par la Prusse à l’Allemagne. Malheur à qui osait critiquer l’armée, disputer le haut du pavé à un officier ou s’opposer au bon plaisir d’un chef de corps ! La mésaventure récente des bourgeois de Saverne nous a prouvé que les militaires allemands pouvaient tout se permettre : l’opinion publique en effet s’est prononcée finalement en leur faveur, malgré les protestations, bientôt réduites au silence, du Reichstag.