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général de cavalerie en retraite Frédéric de Bernhardi, écrit d’une plume plus audacieuse et plus franche, malgré ses constantes préoccupations philosophiques et morales, que les ouvrages de ses confrères. De tous les écrits venus au jour dans ses dernières années et où l’angoissante question des destinées de l’Allemagne était débattue, le livre de Bernhardi a été le plus prophétique, parce que la guerre a été déclarée pour les motifs qu’il avait mis en lumière et pour les fins qu’il avait indiquées. Le public étranger a eu tort de ne point assez prêter l’oreille à ce langage menaçant. L’ouvrage du philosophe militaire est devenu le bréviaire des patriotes allemands ; ses sophismes ont empoisonné le cerveau de la génération actuelle.

L’atmosphère politique surchauffée des trois dernières années a sûrement fait éclore des milliers d’adhésions au parti de la guerre, et celui-ci n’a pas cessé d’aiguiller le gouvernement impérial vers le but où tendait la multiplicité de ses efforts. Non moins certain est l’empire qu’il a su prendre sur l’esprit d’un monarque, très disposé à écouter des conseils qui trouvaient un écho dans son ambition. Quoique le parti n’ait pas eu d’organisation réelle, qu’il ait travaillé dans l’ombre et sous le couvert de l’irresponsabilité, il n’en est pas moins, après l’Empereur, un des principaux promoteurs des calamités de l’heure présente.


III

Le chef du grand état-major était, avant la guerre, depuis la retraite du comte de Schlieffen, le général de Moltke, neveu du maréchal. Ses qualités professionnelles seules l’avaient-elles fait choisir par Guillaume II pour recueillir l’héritage de son parent, ou bien aussi le nom célèbre qu’il porte ? Ceux qui le connaissent penchent pour cette dernière supposition. Mais les défauts et les tares sont plus souvent héréditaires que le talent, et le nom n’est pas un fétiche qui donne la victoire. Le général de Moltke ne ressemble pas physiquement à son oncle, le maigre vieillard que nous représentent ses portraits. C’est un homme de haute taille, puissant et lourd, une figure orgueilleuse, au regard méprisant. Le dédain du parfait Teuton pour les étrangers se lit dans ses yeux, malgré sa froide politesse.