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dans les rues, et le sommeil était difficile. Mais c’est du service pour la patrie. »

Voici la comparaison qu’éveille chez un soldat la vue des victimes après le supplice :

« Vous ne pouvez vous faire une idée de l’aspect actuel de la Belgique. La plupart des villages sont complètement détruits. Tout est brûlé. Les habitans ont tiré sur les soldats. On les a simplement collés au mur. Quelques bonnes balles à travers le corps, et les voilà couchés comme des grenouilles. »

Voici une scène qu’un médecin juge digne d’être fixée par la photographie :

« Nous avons vu six cadavres de francs-tireurs. Sur un cadavre était un petit chien, qui ne voulait pas s’en aller. Un médecin de la Croix-Rouge a photographié les six cadavres… »

Voici je ne sais quel dilettantisme affreux :

« Il semble que ce fut une ville riche. Dans la rue, il y a encore des cadavres d’habitans qui sont en pourriture. L’odeur se répand à la ronde. Devant une maison gisent les cadavres de toute une famille : femme, père, enfans. Au milieu des cadavres se trouvent aussi les corps des chevaux, des vaches, des cochons. Les seuls êtres vivans sont de petits lapins qui courent partout, joyeux de vivre. Dans les rues, des meubles, du linge, de beaux cadres brisés, des gravures, etc. Seules se dressent les ruines d’un beau château avec un parc et un verger… »


Mais enfin, à quel sentiment obéissent-ils ? Quel raisonnement, fût-il barbare, leur permet-il de considérer de tels actes comme dignes de mémoire ? Quelle justification, ou seulement quelle explication, peuvent-ils fournir ?

Lorsqu’ils anéantissent un village après avoir massacré les habitans, ils se vengent des francs-tireurs. Ils en voient partout. Qu’un des leurs soit blessé par une balle perdue, la balle vient d’un franc-tireur. Qu’un soldat manque à l’appel, c’est un franc-tireur qui l’a tué, et qui a fait disparaître son cadavre. Sont-ils dans leurs cantonnemens ? Les francs-tireurs guettent dans l’ombre, prêts à assaillir le soldat qui d’aventure sortirait. La sentinelle qui monte la garde aux avant-postes n’a pas seulement à craindre ses adversaires directs : a aussi, les francs-tireurs veillent. Le franc-tireur est un être mal défini, qui d’une