Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/606

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coupables. » Un autre encore : « Naturellement, les habitans ont prétendu qu’ils n’y étaient pour rien, et que les coups de feu avaient été tirés par des soldats français venant de Montmédy. » En conséquence, le village brûlé, les habitans fusillés. — Ainsi l’on arrive à cette triple iniquité : ce sont eux qui ont institué la loi, ce sont eux qui l’appliquent sans jugement, ce sont eux qui désignent les victimes sans enquête.

Or, toute leur psychologie est là. Je ne veux pas chercher quelle en est la source profonde. Je ne veux pas savoir dans quelle mesure les intellectuels allemands, revendiquant leur part de solidarité dans le sac de Louvain et dans le bombardement de Reims, sont responsables de la mentalité générale. Je ne veux pas remonter jusqu’aux philosophies qu’on trouve toujours, en dernière analyse, dans la conduite des peuples. Je constate des faits, et je les enregistre, tels qu’ils m’ont apparu dans des témoignages journaliers. Ils sont la manifestation d’une croyance unique : tout ce que veut un Allemand, tout ce qu’un Allemand exécute, est intangible et sacro-saint. Cet axiome suffit à tout. Il n’y a pas de vérité ; il y a l’intérêt allemand. Il n’y a pas de devoir qui soit en contradiction avec l’intérêt allemand. Le droit, c’est l’Allemagne. L’acte en lui-même est indifférent ; on peut ordonner ou défendre le pillage et le meurtre, suivant les cas : il ne faut pas piller, par exemple, les villages où l’on veut s’établir à demeure, les villes où l’on veut engager la population à rentrer. « Ne brûlez les maisons que si l’ordre en est donné par l’Etat-major. » Incendier ou ne pas incendier, massacrer ou ne pas massacrer, peu importe au point de vue moral, pourvu que la patrie allemande y trouve son compte. Les Allemands violent la neutralité de la Belgique, et rompent délibérément le pacte qu’ils avaient conclu avec ce pays. Il devrait en résulter que la Belgique soit déliée de ses obligations envers l’Allemagne, et que son premier droit soit de se défendre par la force contre celui qui emploie la force contre elle. Mais non ; l’Allemagne a la faculté d’agir comme elle l’entend à l’égard de la Belgique, la Belgique n’a pas la faculté d’agir comme elle l’entend à l’égard de l’Allemagne. Il y a même chez les soldats une irritation qui serait comique, si elle n’aboutissait au massacre, à l’idée que les Belges ont l’audace de se défendre ; et plus héroïquement ceux-ci se défendent, en effet, plus les autres les trouvent coupables. Déjà un pays grand et fort montre beaucoup