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Le sort n’a fait à ces hommes, en leur sauvant la vie, qu’une faveur mesquine, puisqu’il les a désarmés. Même envers ceux d’entre eux qui furent braves, on serait tenté, si on ne prenait garde, d’être injuste, pour les voir si loin de l’action, si près de l’espoir.

Mais, s’il manque de grandeur et de poésie, ce spectacle est utile ; et plus utile encore l’examen des lettres et des papiers, qui montre le fond des cœurs. Non par des théories, mais par les constatations les plus immédiates, auxquelles nous nous sommes tenus à dessein ; par des faits, dont nous avons voulu que le lecteur fut juge, en rapportant les expressions mêmes qui les énonçaient, nous sommes arrivés à voir ces réalités : une âme qui s’est mise au-dessus de l’humanité, par orgueil ; une âme qui se trouve, lorsque cet orgueil vient à lui manquer, dépourvue des vertus véritables qui font la force de l’homme.

En vérité, j’aime mieux notre âme française. Il n’y a pas si longtemps qu’elle apparaissait au monde comme déchirée, et, par endroits, gâtée. Ceux qui l’aimaient ne s’y trompaient pas ; ils distinguaient, au milieu des défauts, des germes de vie qui voulaient se faire jour ; ils prévoyaient la floraison. Mais il fallait leur intuition pour voir, dans les penseurs qui avaient commencé à traduire son renouveau, les maîtres de l’heure, qui ne semblaient être encore que les prophètes d’un avenir lointain. Et comme elle étalait ses imperfections et dissimulait volontiers ses vertus, ceux qui avaient intérêt a son dépérissement allaient prédisant qu’elle devait mourir.

Au moins, rien de ce qui est humain ne lui était-il étranger ; si elle péchait, elle ne péchait pas par l’hypocrisie du pharisien ; elle était inquiète et tourmentée ; elle cherchait ; ce qu’elle demandait, c’était peut-être l’épreuve. L’épreuve est venue et lui a rendu sa qualité première. Tandis que l’Allemagne, sortie de son ivresse, n’aura plus aux lèvres que l’amertume et le dégoût, la France retrouve son intelligence saine, son cœur vaillant, tous les jours davantage. Des lendemains glorieux que nous promet l’amour de la patrie purifiée, je veux pour preuve les admirables soldats qui passent au moment même où je termine ces lignes, et qui s’en vont, la tête haute et les yeux graves, vers la bataille, — vers la victoire qu’ont préparée nos chefs.


PAUL HAZARD,

Lieutenant interprète.