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mêler de tout. L’activité infatigable de son esprit, son caractère impérieux, ses habitudes militaires, tout le disposait à ce grand défaut. Il dressait son peuple comme il dressait ses grenadiers. » Aussi cette activité est-elle un peu brouillonne. Si le royaume n’en souffre pas davantage, si la Prusse s’en accommode, et si Frédéric II peut sans péril ne pas mieux la discipliner, c’est que « le roi son père avait mis un tel ordre dans les finances, tout s’exécutait si militairement, l’obéissance était si aveugle, que quatre cents lieues de pays étaient gouvernées comme une abbaye. »

« L’amour de l’ordre » était donc une vertu du père plus que du fils, qui se bornait en quelque sorte à entrer dedans, à glisser suivant le pli, et à se laisser porter par la vitesse acquise, à moins que, par « amour de l’ordre, » il ne faille entendre surtout « amour de l’économie, » parfaitement commun au père et au fils, à Frédéric-Guillaume Ier et à Frédéric II. Le fils, en effet, autrement que le père, mais autant que le père, est économe, très économe, « parcimonieux. » — « Il n’a à sa solde que des gens utiles et en état de bien remplir leurs emplois ; dès l’instant qu’il n’en a plus besoin, il les renvoie avec rien ; mieux servi que tout autre avec moins d’argent, donnant peu d’appointemens à tout ce qui est grande charge de la Cour, qui sont toutes in partibus à peu de chose près, n’ayant dans tous ses États aucun gouverneur ni de province, ni de ville ; il commande seul dans les provinces ; et dans les villes ce sont les commandans des régimens qui y sont en garnison ; il ne paye aucun état-major de place : ces trois articles sont immenses chez les autres potentats. Dans ce qu’il appelle sa maison militaire il y a à Potsdam et à Charlottenbourg soixante cavaliers, à qui l’on a donné le nom de gardes du corps, qui n’ont que la paye et l’habillement de la cavalerie et reçoivent tout autant de coups de bâton… Il a un chancelier qui ne parle jamais, un grand veneur qui n’oserait tuer une caille, un grand maître qui n’ordonne rien ; un grand échanson qui ne sait pas s’il y a du vin dans la cave, un grand écuyer qui n’a pas le pouvoir de faire seller un cheval, un grand chambellan qui ne lui a jamais donné la chemise, un grand maître de la garde-robe qui ne connaît pas son tailleur ; les fonctions de toutes ces grandes charges étaient exercées par un seul homme nommé Fredersdorff, qui de plus était valet de chambre