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ce terrible ouvrage, dit : « Quand on lira ce livre, Byzance tremblera ! »

Bismarck passa les dernières années de son exil dans une tristesse profonde, se plaignant d’être seul, de n’avoir plus rien à faire, critiquant la politique impériale, qui avait plus d’estime pour l’obéissance servile que pour les mérites et les aptitudes, publiant des documens dangereux pour son propre pays, se moquant du chancelier nouveau qui dirigeait les affaires « comme un troupier en retraite, » accusant les uns et les autres, insultant les novateurs et les jeunes audacieux, blâmant les actes officiels, prédisant tous les désastres, assailli de temps à autre par des remords cruels, puis revenant à ses rancunes violentes, appelant la Chancellerie « une porcherie, » où il aurait cependant voulu rentrer, se plaisant à confier ses critiques amères et ses documens secrets à une presse avide de scandales, avouant hautement ses mensonges, ses perfidies et ses méfaits, se glorifiant de ses violences et de ses traîtrises, prenant l’allure d’un Méphistophélès cynique et cruel, défiant le monde et la Divinité elle-même. Mais ses forces, qu’il croyait encore puissantes, s’affaiblissent enfin. L’heure fatale est venue. Le 30 juillet 1898, il meurt en jetant un grand cri de douleur au moment où une tempête furieuse gémit dans la forêt du Sachsenwald et ébranle les fenêtres de son château… Il avait prédit, en son exil, la chute gigantesque de son œuvre et souhaité malemort aux aventuriers qui s’étaient emparés de sa succession.

Le jour est proche où ses prédictions deviendront des réalités. Le Danemark, la Pologne, l’Alsace-Lorraine, vont retrouver leur liberté. L’unité allemande ne tardera pas à se dissoudre. La fortune colossale de l’Allemagne s’effondrera sur elle-même… Le droit vengeur primera la force brutale.


HENRI WELSCHINGER.