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quoiqu’il en ait. A la vérité, qui s’y complaît et y réussit le mieux, de même qu’aujourd’hui et pour des motifs identiques, c’est l’Angleterre. Rien de plus naturel, puisque les flottes sont, pour ces opérations, d’admirables instrumens. Et voilà qu’en fait, au mépris des principes abstraits de la stratégie purement militaire, la plus forte de ces diversions, celle qu’elle peut conduire le plus librement, avec le plus de ténacité depuis la défaite de notre marine, la guerre d’Espagne, finit par abattre le colosse.

Je viens de dire : stratégie purement militaire… C’est qu’il y en a une autre, ou plutôt que la stratégie a deux branches essentielles, la militaire et la politique. Et c’est cette dernière qui justifie les diversions aux yeux des gouvernemens, des hommes d’Etat, des peuples, sinon à ceux des militaires. Cette stratégie politique tient compte, en effet, plus que l’autre, de certains facteurs dont l’importance peut se voiler momentanément aux regards des généraux qui ont la lourde charge de lutter, sur le théâtre principal de la guerre, contre les forces les plus solides, les mieux organisées du parti adverse. Elle tient compte, justement, des profondes répercussions politiques, — présages à peu près certains des répercussions de l’ordre militaire, — que peut produire un coup vigoureux frappé, dans des circonstances favorables, à l’une des extrémités du front stratégique ; elle se préoccupe de l’effet moral d’une action énergique, si lointaine, si « extérieure » qu’elle paraisse d’abord ; elle se préoccupe de l’Opinion, cette opinion qui mène le monde, cette opinion « qui est tout, à la guerre, » disait Napoléon lui-même, si habile à la conduire, au moins dans la première partie de sa carrière et qui a succombé quand elle s’est détournée de lui…


Il n’était peut-être pas inutile de bien poser les termes d’un débat qui, dans certains cercles, a dû diviser les esprits, pendant la période de gestation de l’expédition qui commence. S’il y a eu discussion, — ce que j’ignore, — rien n’en a transpiré, en tout cas, et, une fois conclus les accords nécessaires entre les gouvernemens alliés, Français et Anglais ont travaillé avec une ardeur égale aux préparatifs, toujours fort délicats, d’une grande opération d’outre-mer. Ajouterai-je que cette opération semble être accueillie avec grande faveur par