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On s’étonne qu’une semblable doctrine ait jamais pu être émise. Il faut reconnaître cependant qu’elle est d’une origine assez ancienne et qu’elle fait loi parmi les Allemands. F. G. de Martens, qui écrivait à la fin du XVIIIe siècle, enseigne déjà qu’il existe dans le droit de la guerre certaines interdictions qui ne cèdent qu’en cas de représailles et d’autres que l’on peut écarter dans les circonstances extraordinaires où la raison de guerre (Kriegsraison) l’emporte sur l’usage commun. — Sans doute, sous la plume de Martens, la raison de guerre n’excuse que certaines infractions aux règles communes, mais comme il écrit un peu plus loin que la protection promise aux non-combattans, aux médecins et chirurgiens, aux blessés eux-mêmes, peut être supprimée par raison de guerre, la modération de cet auteur sera jugée plus apparente que réelle.

Klüber, qui vient après lui, admet également que l’on invoque la raison de guerre. Il s’efforce pourtant d’en réduire l’importance en posant pour son emploi certaines conditions, notamment que l’on n’en use que pour la bonne cause.

Le célèbre Heffter, après avoir rappelé l’anathème qui frappe ceux qui usent de procédés cruels ou barbares, ajoute : « Des circonstances exceptionnelles tirées de l’extrême nécessité ou du besoin de rétablir l’équilibre permettent seules de s’affranchir de ces règles et de faire ce qui est de raison momentanément. » — Heffter avait oublié sans doute que l’état de guerre est par essence un état de nécessité, et que le droit ne prescrit rien qui ne soit compatible avec cet état.

Les auteurs plus récens, connue Hollzendorff, Dahn, Bulmerincq, Neumann, Lueder, Ullmann, Litzt, demeurent fidèles à cette distinction qui est devenue une véritable caractéristique de la doctrine allemande. Il est à remarquer en effet que les jurisconsultes de tous les autres pays demeurent étrangers à la notion de la raison de guerre. À cette règle nous ne connaissons qu’une seule exception, celle du Suisse Rivier.

Comment faire accepter cette étrange réserve et quelle place donner dans une doctrine scientifique à une distinction qui ne vise à rien moins qu’à ruiner l’autorité de la science elle-même ? La plupart des auteurs allemands ne tentent même pas cette justification. Consultons de nouveau Lueder. Il n’a pas imité l’exemple de ses devanciers et consacre un passage assez long aux motifs qui expliquent l’introduction de la raison de guerre